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aux joies ardentes goûtées par Jérôme dans la libre captivité du désert, lorsque, courbé sur la Bible, devenue son seul trésor, il oubliait les splendeurs de Rome et jetait au monde l’âpre expression de ses mépris. La vue de Dieu est pour l’intelligence de l’homme ce qu’est celle de la mer pour son regard; elle l’absorbe par sa vivante immensité, et devant sa souveraine harmonie tous les bruits de la terre font silence. Après avoir vécu de la vie recluse des trappistes au point d’ignorer comme eux si ses amis les plus chers appartenaient encore à ce monde, Fouquet mourut comme un saint, laissant une preuve de plus que, sans nier la douleur comme le stoïque, le chrétien peut toujours en triompher, puisque l’âme reste libre jusque dans les fers.

C’est un bonheur pour l’histoire d’avoir à constater que, malgré ce culte de l’autorité monarchique dont Louis XIV ne fut pas moins le disciple fervent que le gardien inflexible, les rigueurs de ce prince finirent par s’adoucir en présence de cette captivité sans espoir. Mme Fouquet, longtemps exilées dans des résidences lointaines, furent admises à se rapprocher de Pignerol, et, dans l’année qui précéda sa mort, le prisonnier, fléchissant sous le poids de ses infirmités plutôt que sous le poids de son malheur, put recevoir ces soins si doux à l’infortuné qui n’espère plus cette joie suprême. Puis, dans les derniers jours de 1679, quelques mois seulement avant d’expirer, Fouquet obtint l’autorisation d’aller prendre les eaux de Bourbonne, ce qui équivalait à l’assurance d’une fin prochaine de sa captivité. Il ne paraît pas qu’il ait pu profiter de cette trop tardive autorisation; cependant le bruit de sa mise en liberté se répandit alors dans Paris, et Gourville, dont les mémoires contiennent d’ailleurs des inexactitudes bien autrement sérieuses, ayant inféré de la permission accordée à Fouquet de quitter Pignerol qu’il en avait immédiatement profité et qu’il n’était point mort dans cette forteresse, cette circonstance insignifiante a servi de base à l’étrange roman d’après lequel le décès de l’ancien surintendant n’aurait été que simulé. C’est au moment où la vengeance de Louis XIV était visiblement désarmée contre un malheureux vieillard qu’on prête gratuitement à ce prince une invention dont ne s’était avisé aucun tyran ; Fouquet devient le héros de la légende du masque de fer.

Deux argumens sont présentés à l’appui de cette bizarre assertion : l’un, c’est que la victime de ce drame mystérieux a commencé par être déposée à Pignerol avant d’être enfermée aux îles Sainte-Marguerite, comme si Fouquet avait été le seul habitant de ce lieu sinistre; l’autre, c’est que rien n’établirait d’une manière précise où et à quelle époque est mort l’infortuné surintendant. En présence des lettres de ses contemporains, devant les détails si concordans don-