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fin, nommé président, il ne négligea aucune occasion de rassurer les hommes du sud et de témoigner en faveur de leurs droits constitutionnels. Dans son message, il déclarait ne vouloir en aucune manière attenter à l’institution patriarcale ; il acceptait la doctrine antique en vertu de laquelle l’esclave qui s’enfuit dérobe son propre corps ; il reconnaissait le droit absolu du maître à la récupération de sa propriété vivante. Par un excès de prévenance, il s’abstenait même d’aborder le sujet si délicat des territoires et de faire la moindre allusion aux anciens compromis maintes fois violés par les esclavagistes. En terme supplians, dont la sincérité ne pouvait être mise en doute, il conjurait ses frères du sud de rentrer dans l’Union avec toutes leurs prérogatives et leur offrait ses bons services pour écarter définitivement cette fâcheuse question de l’esclavage, cause de tant de malheurs.

Le congrès était disposé à imiter le président dans cette politique de conciliation à outrance. En votant l’organisation de trois territoires, dont l’un au moins, celui du Colorado, était exposé à l’invasion du travail esclave, les sénateurs allèrent même, dans leur courtoisie pour les planteurs, jusqu’à négliger d’introduire une clause assurant aux agriculteurs libres l’occupation de ces vastes contrées. Plus tard, lorsque la guerre éclata, les généraux de l’armée ne furent pas moins polis pour les propriétaires de nègres que ne l’étaient les membres du gouvernement et de la législature. Des ordres formels enjoignaient aux troupes de rendre consciencieusement à leurs maîtres les esclaves fugitifs qui s’égaraient dans les lignes fédérales. Parfois même les soldats étaient chargés par leurs officiers de prêter main-forte aux chasseurs et de traquer les noirs dans les forêts. Telles étaient les premières scènes de cette guerre qui doit avoir pour inévitable résultat la liberté des nègres dans tous les états méridionaux.

Quelques incidens toutefois révélaient d’avance la tournure que la lutte entre les hommes libres du nord et les propriétaires d’esclaves du sud était destinée à prendre tôt ou tard. Les volontaires du Massachussetts, qui, par une heureuse circonstance, dit le sénateur Sumner, avaient été les premiers à verser leur sang pour la république, étaient en grande partie de zélés abolitionistes, et leur prompte réponse à l’appel du président était un signe de l’ardeur qu’ils allaient porter à la délivrance des esclaves. En dépit de la loi d’extradition et des ordres de leurs chefs, ces soldats improvisés donnaient joyeusement un asile aux rares fugitifs qui venaient les implorer ; souvent même ils étaient les premiers à conseiller l’évasion et à faciliter le départ des nègres pour la Pennsylvanie. De là des altercations entre les volontaires et leurs officiers, et parfois des