Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 44.djvu/479

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

butât d’emblée par la guerre ne sont pas des amis sérieux de la cause polonaise, et, au lieu de lui faire des prosélytes, diminueraient beaucoup le nombre de ses partisans. L’action diplomatique est ouverte à la France et aux autres puissances par le droit écrit européen et par des traités qui, depuis plus de trente ans, sont violés à l’égard de la Pologne ; elle est ouverte par la situation actuelle de la Pologne, situation tourmentée qui est une cause d’inquiétudes et de perturbation pour l’Europe ; elle est ouverte par la convention conclue entre la Prusse et la Russie, convention qui résulte de la situation de la Pologne, et a mis à nu précisément le péril que cet état de choses fait courir à la sécurité de l’Europe. Le droit d’action diplomatique ne peut être dénié à la France et aux puissances qui voudront ou s’unir à elle ou agir comme elle. Nous reconnaissons avec lord Palmerston que l’existence du droit ne crée point l’obligation d’agir ; mais nous ne pensons point nous tromper en affirmant qu’à cette heure l’opinion publique en France, appréciant d’instinct l’ensemble des circonstances où se trouve l’Europe, croit que l’occasion de s’occuper du sort de la Pologne est si propice qu’elle nous en impose l’obligation.

Il n’y a guère à prendre garde aux subtilités par lesquelles on a cherché à établir que la convention russo-prussienne ne nous offrait pas cette occasion. On a essayé d’atténuer la gravité de cette convention. On a prétendu qu’elle avait été conclue par inadvertance, que l’on avait oublié à la fois à Pétersbourg et à Berlin que des arrangemens antérieurs donnaient aux deux puissances les garanties qu’elles ont cherchées dans la convention nouvelle, et que du reste ce qui ôtait toute importance à cette convention, c’est qu’elle n’était point soumise aux ratifications. Nous croyons que cette explication n’est nullement fondée en fait. La gravité de la convention nouvelle consiste en ce qu’elle autorise le passage réciproque des troupes des deux puissances sur leurs territoires respectifs. Or il n’y avait rien de semblable dans les arrangemens antérieurs relatifs à l’échange des déserteurs. Quant aux ratifications, elles sont positivement prévues dans la convention ; si elles n’ont pas été effectivement échangées, si d’un autre côté il n’y a pas eu de passage de troupes d’un territoire sur l’autre, si la Prusse s’est bornée à surveiller la frontière, c’est qu’en présence de l’émotion de l’Europe on a compris à Pétersbourg et à Berlin la faute commise en se la renvoyant mutuellement. La faute n’en a pas moins été commise, et si à la pratique elle n’a pas été poussée à ses conséquences extrêmes, elle n’en a pas moins fourni un droit nouveau aux autres puissances européennes de prendre en considération la question polonaise.

Ce droit, la France et l’Angleterre l’ont exercé et continueront à l’exercer. Il est malheureusement visible aujourd’hui que l’action de ces deux puissances n’a point été collective. L’Angleterre ne s’est point ralliée au système français ; elle a choisi un système différent de celui que la France proposait. Les amis de la Pologne, ceux qui comme nous souhaitaient que l’accord des trois grandes puissances, la France, l’Angleterre et l’Autriche,