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France, l’Angleterre et l’Autriche, que M. de Talleyrand eut l’art de réaliser en plein congrès de Vienne, et dont on a l’air de s’effrayer aujourd’hui? Si l’on est logique, on sera donc infailliblement conduit à la situation qu’il eût été bien plus prudent d’accepter dès à présent, qui aurait eu aujourd’hui une véritable force de conciliation au lieu d’une apparence comminatoire, et l’on arrivera à cette situation dans des conditions bien plus désavantageuses, après la perte d’un temps précieux, après une longue effusion de sang, avec les blessures de la Pologne plus envenimées, avec l’amour-propre russe plus irrité et rendu plus opiniâtre. Est-ce par défiance de la France que lord Palmerston s’expose à ces chances périlleuses? Veut-il, si par malheur la guerre devait sortir de ces complications, nous envelopper d’une sorte de réseau européen où notre ambition serait comme enchaînée d’avance? Le calcul serait peu adroit; de telles précautions ont sur le tempérament de la France une influence toute contraire à celle que l’on y voudrait chercher. Nous aimons mieux nous expliquer cette étrange politique par le caractère de lord Palmerston. Ceux qui connaissent cet homme d’état, ceux qui ont étudié attentivement sa carrière, n’ignorent point qu’à travers ses brillantes et populaires qualités, il y a au fond un vieil esprit procédurier, un véritable tempérament de solicitor. Lord Palmerston a souvent conduit les grandes questions de politique étrangère avec la ruse formaliste de l’avoué plutôt qu’avec les vues hautes et larges de l’homme d’état.

C’est évidemment l’homme de procédure qui a pris le dessus en cette circonstance. Notre titre, s’est-il dit, c’est le traité de Vienne ; il faut invoquer le témoignage et le concours de tous les signataires au contrat. Que l’Espagne donc, que le Portugal lui-même soient comme nous parties au procès! Dieu fasse que la pauvre cliente, la Pologne, ait la vie assez dure pour donner le temps aux chancelleries mises en cause par lord Palmerston de remuer, de noircir, de mettre en ordre leurs paperasses! Si l’abnégation, si la vaillance, si la foi désespérée suffisent, la Pologne saura s’agiter, souffrir et combattre assez longtemps pour donner à la politique européenne le temps de la rejoindre, malgré le sabot que lord Palmerston vient de mettre à son char diplomatique. Le mouvement polonais défie la puissance russe. L’insurrection dure en s’étendant et en se fortifiant ; la durée est elle-même le plus grand succès auquel elle ait pu prétendre jusqu’à ce jour. Le mouvement moral se propage; le vide se fait bien réellement autour du gouvernement russe à Varsovie. Un certain nombre de membres du conseil d’état ont donné leur démission, et parmi eux l’archevêque Felinski. Les esprits les plus modérés, les plus prudens, comprennent bien en Pologne qu’entre le gouvernement russe et la patrie militante il n’est pas possible d’hésiter. D’un autre côté, malgré les tâtonnemens et les incertitudes qui ont pu la déconcerter, la diplomatie européenne est visiblement agitée. Les ambassadeurs voyagent. Le prince de Metternich se rend à Vienne ; ce n’est pas, dit-on, précisément pour les affaires de Pologne. M. de Metternich