Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 44.djvu/510

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du temps. Quelles sont ces idées ? J’y distingue ce que j’appellerai le plan et l’arrière-plan, une révolution financière, une révolution territoriale.

Le plan, c’était d’abord l’extinction de la maltôte, la destruction de l’épouvantable machine qui triturait la France ; peu, très peu d’employés ; quarante mille préposés de moins ; plus de pachas de la finance, plus de fermiers-généraux, plus de receveurs à gros profits, qui faisaient des affaires avec l’argent des caisses ! Trente petits directeurs (à 6,000 francs) remplaçaient tout cela. — Le plan, c’était encore l’extinction de la dette, la libération de l’état. Law se substituait aux créanciers en prêtant 1 milliard 500 millions à 3 pour 100, remboursait le créancier en espèces ou en actions. On était sûr qu’il préférerait ces actions en hausse, qui, revendues au bout d’un mois, donnaient un bénéfice énorme.

Ce que j’appelle l’arrière-plan, c’était non-seulement l’égalité de l’impôt territorial, mais une vente des terres du clergé. À peine contrôleur-général, il fit examiner en conseil un projet pour forcer le clergé de vendre tout ce qu’il avait acquis depuis cent vingt ans[1]. Cette dernière proposition était tout un 89. Des quatre ou cinq milliards de biens que le clergé avait en France, une moitié au moins avait été acquise dans le XVIIe siècle. Cette masse de deux milliards de biens, tout à coup mise en vente, donnait la terre à très vil prix, la rendait accessible. De plus, une bonne part des gains de bourse se seraient tournés là. Beaucoup de fortunes récentes, ou moyennes, ou petites, cherchant un sûr placement, s’y seraient portées. La révolution financière, qui semble si fâcheuse tant qu’elle n’apparaît que comme agiotage, aurait profité à la terre et fécondé l’agriculture. La première proposition, un impôt égal sur la terre, réparait aussi en partie les maux de l’agiotage. Les grands propriétaires de terre, qui furent par prête-noms les grands agioteurs, se trouvant soumis à l’impôt, eussent restitué à l’état quelque chose de leurs monstrueux bénéfices.

Résumons : — le fisc simplifié, devenu très léger ; — la libération de la France, la dette remboursée avec profit et pour l’état et pour le créancier ; — égalité de l’impôt territorial ; — la moitié des biens du clergé vendue en une fois, et la terre mise à si bas prix que chacun pût en acheter… Splendide construction de rêves et de nuages ! Sur quoi, je vous prie, porte-t-elle ?… Sur la supposition que l’abolition de l’abus se fera par l’abus suprême, que la révolution peut s’opérer par le pouvoir illimité, indéfini, le vague

  1. Manuscrit Buvat, Journal de la Régence, janvier 1720, t. II, p. 133, et dans la copie, t. III, p. 1134.