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en blessèrent un grand nombre, en tuèrent six à coups de fusil !

Il est instructif de placer auprès du tableau de Watteau un autre non moins désolant : c’est le portrait de Law, contrôleur-général. Grande gravure, solennelle et lugubre ! que de siècles semblent écoulés depuis le délicieux petit portrait de 1718, si féminin, suave d’amour et d’espérance ! Mais celui-ci est tel qu’il ferait croire que, de toutes les victimes du système, la plus triste, c’est l’auteur. Il est plus que défait ; il est sinistrement contracté, raccourci ; il semble que cette tête, sous une trop dure pression, à coups de maillet, de massue, ait eu le crâne renfoncé, aplati.

Au moment même où sa nomination le mit si haut, au trône de Colbert, il sentait que la terre lui fuyait sous les pieds. Ses amis, ses fidèles, les vaillans de la hausse, sous une fière affiche d’audace et d’assurance, sourdement en dessous se soulageaient des actions, — non pour de l’or, ils n’auraient pas osé, — mais pour des fantaisies qu’ils avaient tout à coup, une terre, un hôtel, des bijoux pour madame, un diamant pour une maîtresse. Il le voyait, ne pouvait l’empêcher, était plein de soucis ; mais ce qui était plus atroce, c’est que plus ces traîtres, dans leur désertion occulte, risquaient de faire la baisse, plus ils insistaient pour la hausse. Ils glorifiaient le papier pour le céder avec plus d’avantage. Tout systématique qu’il fût, Law n’était pas un sot : il sentait à coup sûr cette chose simple et élémentaire, que, s’il était de son intérêt de soutenir le cours, il ne faisait, en surhaussant une hausse déjà insensée, qu’augmenter son danger et la profondeur de sa chute ; mais il allait cruellement poussé, comme un tremblant équilibriste qu’on hisse au mât, le poignard dans les reins. Qu’il veuille ou non, il faut qu’il monte, qu’il gravisse, éperdu, le dernier échelon.

Ses maîtres, les haussiers, qui avaient déjà réalisé des sommes. énormes, Bourbon, Conti, etc., donnèrent cet indigne spectacle au 30 décembre 1719. Ils vinrent, le régent en tête, distribuer le dividende à l’assemblée des actionnaires. Dans ce troupeau crédule, où. déjà nombre d’esprits forts risquaient de se produire, on imposa la foi par l’audace, à force d’audace, par l’excès de l’absurde. Law se déshonora. Le saltimbanque infortuné alla jusqu’à crier : « Je n’ai promis que douze,… je donnerai quarante pour cent ! »


IV. — LA BAISSE. — L’ABOLITION DE L’OR. — JANVIER-MARS 1720.

Quand Law, nommé contrôleur-général, se présenta aux Tuileries, on lui ferma la grille. Sa voiture n’entra pas. Insulte calculée ! Ce même jour, le parlement avait ému et enhardi le peuple par