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étude du genre de celle que nous voulons entreprendre. Les vents violens eux-mêmes, fléaux du Ventoux et de la Provence, sont ici une circonstance favorable en ce qu’ils disséminent les graines sur toute la surface de la montagne, de telle façon que les plantes poussent partout où le climat leur permet de vivre. Le botaniste est donc le seul qui ne répète pas avec les Provençaux du siècle dernier : « Le mistral, le parlement et la Durance sont les trois fléaux de la Provence. » Le parlement n’existe plus, et aucuns le regrettent ; la Durance, dérivée en canaux, rafraîchit Marseille et ses environs, fertilise la Grau, et arrose les parties élevées du département de Vaucluse. Reste le mistral, que l’on continue de maudire, non sans raison.

Le Ventoux a été visité de tout temps par les poètes, les artistes et les savans. Le nom de Pétrarque ouvre la liste. En 1336, âgé de trente-deux ans, il en fit l’ascension. Son récit est le sujet de l’une de ses lettres familières adressée au cardinal Jean Colonna, son protecteur. Je traduis en français le latin fort prétentieux de Pétrarque en élaguant ses paraphrases interminables, qui ne nous apprennent rien sur les particularités de l’ascension ou sur le caractère du poète. « Il y a longtemps, dit-il, que j’étais obsédé par l’envie de monter sur la plus haute montagne de ce pays, appelée à si juste titre Mont-Ventoux. Depuis mon enfance, elle était devant mes yeux. J’hésitais cependant encore, lorsque la lecture de Tite-Live fixa mon irrésolution. Il raconte que Philippe, roi de Macédoine, l’ennemi des Romains, était monté sur le mont Hémus, en Thessalie, d’où l’on voyait, disait-on, à la fois la mer Adriatique et le Pont-Euxin. J’ignore ce qu’il en est, car Pomponius Mêla l’affirme et Tite-Live le nie ; mais j’ai cru que l’on pardonnerait à un jeune homme une curiosité que l’on n’a pas blâmée chez un vieux roi. »

Admirateur passionné des auteurs latins, Pétrarque n’aurait donc probablement jamais fait l’ascension du Ventoux ; c’est Tite-Live qui le décide. Il quitte Avignon le 24 avril, arrive le soir à Malaucène, y passe le jour suivant, et part le lendemain matin avec son frère et deux domestiques. L’air est pur, le jour long. Allègre d’esprit, le corps dispos, il commence à monter. Vers le milieu de la montagne, il trouve un vieux pâtre qui l’engage fortement à ne pas continuer. « Il y a cinquante ans, lui dit-il, j’eus la même fantaisie : je fis l’ascension que vous projetez, et n’en rapportai que fatigue et regrets. Les habits et la peau déchirés par les ronces, je jurai de n’y plus retourner… Jamais, ajouta-t-il, avant moi, personne n’avait osé tenter l’aventure, et depuis nul ne s’en est avisé. » Pétrarque ne se laisse pas intimider et continue ; mais, bientôt fatigué, il s’arrête sur un rocher avec son frère ; puis, préférant un chemin plus long et moins raide à celui qui montait directement, il se sépare de lui.