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indifférent quand il n’est pas endormi, laisse ses bêtes vaguer où elles veulent, et leur dent meurtrière choisit de préférence les bourgeons et les feuilles tendres du petit arbre qui commence à s’élever de quelques décimètres au-dessus de la surface du sol. Vous aurez beau multiplier les gardes forestiers et les procès-verbaux, vous serez vaincus par deux forces passives, mais irrésistibles, l’indifférence et la routine.

Il existe sur le Ventoux une autre industrie plus poétique et moins nuisible, qui repose également sur l’existence des plantes labiées, thym, lavande, romarin, sarriette, mélisse, etc. : c’est celle de la production du miel. Au printemps, tous les villages environnans envoient à la montagne des ruches d’abeilles : placées au pied des rochers tournés vers le midi, elles forment de véritables hameaux, et la montagne est explorée dans tous les sens par ces ouvrières infatigables qui, butinant le pollen et le nectar des fleurs, fabriquent le miel parfumé connu dans toute l’Europe sous le nom de miel de Narbonne. En automne, on vient chercher les ruches avec leurs habitantes, et elles passent l’hiver dans la plaine, devant un mur exposé au midi, près de la maison du maître, qui sait les préserver, quand le froid prend une intensité exceptionnelle. Si le Ventoux était couvert d’une sombre forêt, thym, lavande et romarin disparaîtraient, et les habitans du pied de la montagne ne porteraient plus leurs ruches pendant l’été sur les flancs dû Ventoux. De là encore une objection contre le reboisement, à laquelle se mêlaient celles des pauvres gens, auxquels on avait persuadé que des restrictions seraient apportées à leur droit d’usage des menus produits de la forêt, et à celui de récolter les lavandes, qui sont l’objet d’un commerce assez considérable. Pendant quinze ans, M. Eymard, maire de Bedoin, le principal village au pied du versant méridional du Ventoux, lutta vainement contre ces obstacles. Non moins persévérant et plus heureux que son père, M. Eymard fils a enfin réussi : le principe du reboisement a été admis. Sur 6,399 hectares appartenant à la commune de Bedoin et formant le versant méridional du Ventoux, 1,761 ont toujours été boisés : c’est la forêt de hêtres dont nous avons parlé ; 1,000 hectares ne sont susceptibles d’aucune espèce de culture : ils forment la partie culminante du Ventoux ; 3,600 hectares au contraire sont propres au reboisement. L’administration des eaux et forêts a pris des mesures pour que 500 hectares par an fussent ensemencés de telle façon que le travail fût entièrement terminé dans l’espace de huit à dix ans. Pour les parties basses, on a préféré le chêne ordinaire et le chêne vert (yeuse) ; dans les parties élevées, le pin maritime ou des Landes, le pin sylvestre et le cèdre : cette dernière essence prospère à merveille sur un espacé de 40 hectares environ ; toutes les graines ont levé, et