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personnes chargées de la protéger? Quel intérêt ramenait à Rome, quand elle était en sûreté à Ravenne? Quel que fût le fanatisme de ses croyances et le désir de venger ses longues humiliations, on ne peut croire qu’elle y lut venue pour assister au supplice de son fiancé et jouir des douleurs de celle qui lui avait servi de mère. En tout cas, elle y était: elle comparut devant le sénat; elle accusa Sérène de trahison, et, sur sa déclaration, le sénat à l’unanimité prononça contre l’accusée la peine de mort. La veuve de Stilicon fut étranglée dans son cachot.

L’histoire, à toute autre époque, eût cherché dans les passions humaines la cause de cette immolation d’un innocent : elle eût expliqué comment Sérène mourait victime, soit de l’intérêt politique, soit des rancunes de famille, soit de la vengeance d’un implacable orgueil froissé trop longtemps ; mais telle n’était pas au Ve siècle la logique des idées. Il fallait voir partout et dans tout la main d’un dieu ou celle d’un démon : un événement décisif, une catastrophe publique ou privée apparaissait d’abord aux contemporains comme un arrêt du ciel ou de l’enfer. Païens et chrétiens se donnaient volontiers la main sur ce terrain, et c’est ce qui arriva dans la circonstance présente : chaque parti interpréta, suivant son point de vue, le fait qu’on ne voulait pas laisser au domaine des choses terrestres. Le genre de mort auquel Sérène venait de succomber réveillait d’ailleurs plus d’une idée superstitieuse. On se rappela qu’aux jours brillans de sa jeunesse, quand elle accompagnait dans Rome son père vainqueur du paganisme, on l’avait vue fière, heureuse, insultante, fouler aux pieds les dieux vaincus. Entrée alors dans le temple de Vesta, dont le feu venait à peine d’être éteint, elle avait arraché du cou de la déesse un collier de perles consacré pour le passer au sien, et une vieille vestale lui ayant reproché courageusement son vol sacrilège, Sérène l’avait fait chasser du temple par ses valets. Les païens se racontaient cet acte honteux qu’ils n’avaient point oublié, et ajoutaient avec un sentiment de triomphe : « C’est le collier de Vesta qui l’a étranglée! » Un autre souvenir se joignait à celui-là, celui de Stilicon profanant par une autre spoliation l’enceinte du Capitole et faisant enlever des lames d’or qui garnissaient ses portes au dehors. Ainsi, disait-on, avait marché le châtiment, d’un pied boiteux, mais sûr; le fouet des furies vengeresses avait balayé toute cette famille, un moment si superbe. Ces sombres jugemens, recueillis par les historiens païens, forment dans leurs écrits l’oraison funèbre de Sérène. Quant aux chrétiens, ils se taisent sur les circonstances de sa mort : leurs adversaires semblaient avoir raison.

La mort de Sérène ne termina rien. Alaric ne partit point: il serra au contraire plus étroitement la ville, où la famine se fit bientôt