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publique contribuent à l’embellissement de la ville de Londres. Les terribles voies ferrées ne respectent rien sur leur passage ; elles enlèvent à un édifice, en le coudoyant, une partie de sa symétrie ; elles lui dérobent, sans même le toucher, l’air, l’espace et l’entourage dont il avait besoin pour faire bonne figure. Ces grands murs à pic sur lesquels reposent les terrassemens, ces tunnels, ces passages, ces voûtes sombres et humides qui forcent les voitures et les piétons humiliés à passer sous les fourches caudines de l’industrie, ces ponts de bois, ces planches toutes noires de goudron qui, à la hauteur du toit des maisons basses, coupent, traversent brutalement la rue, tout cela peut affliger les artistes ; mais qu’y faire ? Notre siècle veut aller vite ; les affaires pressent (time is money), et les Anglais n’hésitent nullement sur la nature des moyens qui peuvent les conduire au but. Laissons donc passer ces nouvelles voies, qui, sans souci de l’élégance, sans s’inquiéter de ce qui se rencontre devant elles, courent d’un lieu à l’autre avec la résolution implacable de la ligne droite. Peut-être ces sacrifices faits à la belle ordonnance des villes trouveront-ils d’ailleurs une compensation dans la structure des débarcadères, seuls édifices modernes sur lesquels les architectes anglais aient vraiment empreint le génie de leur race. Quelle grandeur dans ces voûtes épaisses, qui semblent avoir été courbées par la main des géans ! Quelle hardiesse dans ces toits de verre abritant des gares d’une largeur et d’une longueur prodigieuses ! Quel sentiment de la force associé à une certaine richesse d’architecture dans ces vestibules d’un aspect colossal, qu’on prendrait pour l’antichambre d’un palais babylonien ! Par une association de faits historiques dont il est facile d’expliquer l’influence, n’avons-nous pas le tort de restreindre l’idée de monumens aux palais et aux églises ? Ainsi que les autres arts, l’architecture ne doit-elle point subir la pression des temps ? Pourquoi, dans un âge d’industrie, les débarcadères et les stations de chemin de fer, quoique sans alliance aucune avec le style grec et avec les fantaisies de l’art gothique, n’exprimeraient-ils point par un ensemble de traits caractéristiques la puissance des intérêts qui transforment les hommes et les cités ?

Une des nouveautés que présente le système aujourd’hui appliqué au mouvement des wagons dans la ville de Londres est la construction des ponts de chemin de fer (railway bridges) sur la Tamise. Traverser les rivières à vol de vapeur n’est point, je l’avoue, un fait extraordinaire ; durant un quart de siècle, les Anglais ont bâti chez eux des ponts de chemin de fer à raison de mille par année, et quelques-uns parmi ces derniers sont des chefs-d’œuvre d’audace qui ont fait la gloire de plus d’un ingénieur. Si l’on regarde à la grandeur de la difficulté vaincue, les viaducs jetés sur la Tamise