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trois mille cinq cents de ces bêtes. J’ai donné au peuple le spectacle » d’un combat naval au-delà du Tibre, dans le lieu où se trouve aujourd’hui le bois des Césars. J’y ai fait creuser un-canal de dix-huit cents pieds de long sur douze cents de large. Là, trente navires armés d’éperons, des trirèmes, des birèmes, et un grand nombre de vaisseaux moins importans combattirent ensemble. Ces vaisseaux contenaient, outre leurs rameurs, trois mille hommes d’équipage. » Voilà, à ce qu’il me semble, un commentaire curieux et officiel du fameux mot de Juvénal : Panem et circenses. On voit bien que ce n’était pas une boutade de poète, mais un véritable principe de politique imaginé par Auguste, et que ses successeurs conservèrent comme une tradition de gouvernement.

Les rapports d’Auguste avec le sénat étaient, on le comprend, plus délicats et plus compliqués. Même après Pharsale et Philippes, c’était encore un grand nom qu’il fallait ménager. Tout abattue qu’elle était, cette vieille aristocratie causait encore quelques frayeurs et semblait mériter quelques égards. On le voit bien à ce soin que prend Auguste, dans son testament, de ne jamais parler du sénat qu’avec respect. Son nom revient à tout propos avec une sorte d’affectation. On dirait vraiment, si l’on se fiait aux apparences, qu’alors le sénat était le maître, et que le prince se contentait d’exécuter ses décrets. C’est bien là ce qu’Auguste voulait faire croire. Il a passé toute sa vie à dissimuler son autorité ou à s’en plaindre. De sa demeure royale du Palatin, il écrivait au sénat les lettres les plus touchantes pour lui demander de le relever enfin du soin des affaires, et jamais il ne parut plus dégoûté du pouvoir qu’au moment où il concentrait tous les pouvoirs entre ses mains. Il n’est pas extraordinaire que cette tactique se retrouve dans son testament ; elle lui avait trop bien réussi avec ses contemporains pour, qu’il ne fût pas tenté de s’en servir avec la postérité. Aussi continue-t-il à jouer pour elle la même comédie de modération et de désintéressement. Il affecte, par exemple, d’insister autant sur les honneurs dont il n’a pas voulu que sur ceux qu’il a acceptés. « Lorsque, dit-il, pendant le consulat de M. Marcellus et de L. Arruntius, le sénat et le peuple me demandèrent de prendre le pouvoir absolu, et qu’ils vinrent me l’offrir à moi-même, je ne l’acceptai pas ; mais je n’ai pas refusé de me charger de la surveillance des vivres, et par les dépenses que j’ai faites, j’ai délivré le peuple de ses frayeurs. Comme en récompense il m’offrait le consulat annuel ou à vie, je l’ai refusé. » Ce n’est pas le seul hommage qu’il rende à sa modération. Il est question plus d’une fois encore des honneurs ou des présens qu’il n’a pas voulu accepter ; mais voici vraiment qui passe les bornes : « Dans mon sixième et mon septième consulat, après avoir étouffé les guerres civiles, quand l’accord de tous les citoyens me livrait le pouvoir suprême, j’ai remis le gouvernement de la république aux mains du sénat et du peuple. En récompense de cette action, j’ai été appelé auguste par un sénatus-consulte, ma porte a été entourée de lauriers et surmontée d’une couronne civique, et l’on a placé dans la curie Julia un bouclier