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couvrait la terre se liquéfie donc bientôt, et mille filets d’eau vont grossir les torrens longtemps muets qui reprennent leur course et leurs sourds grondemens. Tout renaît, tout verdit ; l’herbe pousse, les fleurs s’ouvrent, et les troupeaux sortent joyeux de l’étable, délivrés d’une réclusion de cinq mois. Débarrassée de son linceul polaire par la douce haleine du midi, la nature entière s’épanouit, comme si une fée bienfaisante l’avait touchée de sa baguette. Le mythe antique s’impose à l’esprit, et l’on ne peut s’empêcher de dire : C’est Flore qui revient précédée par les zéphyrs. Le föhn fait plus d’effet sur la neige en un jour que le soleil en huit. Il en fond de trois à quatre pieds en vingt-quatre heures, car il agit nuit et jour. En automne, il mûrit les fruits et les moissons, sèche même à l’ombre le foin du regain et les pommes pendues le long des chalets pour la provision de l’hiver. « Sans le föhn, dit le Grison, ni le bon Dieu ni le soleil d’or ne peuvent rien. » Il est certain que sans l’influence de ce courant d’air brûlant, la neige se maintiendrait tout l’été sur les hautes alpes, et les glaciers grandiraient sans cesse, envahissant toutes les vallées. Il y eut un temps dans l’une des dernières époques géologiques où il en était ainsi. De gigantesques glaciers remplissaient les vallées du Rhin, du Rhône, de l’Aar, de la Reuss, jusqu’au pied du Jura, comme l’attestent encore les blocs erratiques transportés au loin et les rainures polies produites, à des hauteurs considérables, dans le flanc des montagnes latérales par le frottement des moraines et des débris qu’entraînait la marche séculaire des glaces. C’est le föhn, affirme-t-on, qui en naissant a délivré la Suisse de sa température boréale, et le föhn est né au moment où le Sahara, sortant des flots de l’océan équatorial, est venu exposer aux rayons des tropiques ses immenses plaines de sable si facilement réchauffées[1]. C’est en tout cas au doux favonius que la Suisse doit maintenant ses beaux pâturages des hauteurs ; mais s’il est le bon génie du pays, il exerce aussi, dans ses jours de fureur, d’épouvantables ravages : parfois il souffle avec une violence dont on ne peut se faire une idée. Franchissant les sommets des Alpes, il s’abat dans les vallées dirigées du sud au nord avec la rapidité de la foudre ; il brise les arbres, enlève les toits, couche les récoltes, soulève les flots des lacs et y abîme les barques imprudentes. Comme il est brûlant et sec, il dessèche tout : les fleurs se fanent, les plantes languissent, les charpentes se retirent, craquent et prennent feu à la moindre étincelle. C’est ainsi que toute la ville de Glaris fut réduite en cendres en 1861. Dans les lieux les plus

  1. La France ne peut sentir au même degré que l’Italie et la Suisse les effets du vent du Sahara, parce que le grand massif de l’Atlas l’arrête en Afrique même, tandis que cette haute chaîne s’abaisse en face de la Sicile, de l’Italie et de la Suisse.