Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 44.djvu/85

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’ailes, et ne visite guère les hautes cimes : c’est plutôt un de ces animaux élégans et agiles que l’artiste a si souvent et si vivement représentés, un cheval de main bien dressé, dont la vigueur est toute dans les jarrets, l’audace dans la coquetterie des allures, et qui ne sait que parcourir avec une grâce et une aisance surprenantes un espace familier d’ailleurs à nos regards.

Ces réserves une fois faites, il n’y a qu’une très stricte justice à reconnaître aux œuvres de M. Vernet une valeur d’autant plus rare que les conditions pittoresques imposées ordinairement par les sujets sont ici moins favorables, et les élémens d’effet moins variés. Le moyen de trouver pour le coloris des ressources suffisantes dans la monotonie nécessaire des équipemens militaires et des uniformes? Comment, d’une autre part, diversifier beaucoup l’ordonnance des lignes et les intentions partielles là où il s’agit de nous montrer une fois de plus, soit des hommes se ruant les uns sur les autres et échangeant de près des coups de sabre ou des coups de fusil, soit des corps de troupes échelonnés sur un champ de bataille comme des pions sur un échiquier, et servant réciproquement de point de mire à des volées de mitraille et de boulets? Le difficile en pareil cas sera d’exprimer la mêlée sans tomber dans le désordre banal et dans les redites, ou de conserver à l’action son caractère général sans en délayer si bien l’image que le tableau ne soit plus qu’un plan stratégique. Avant le siècle où nous sommes, les peintres français ne prenaient guère à tâche d’éviter de pareils écueils. Pour eux, la plus terrible bataille n’était qu’une affaire d’avant-garde, une escarmouche où quelques combattans se rencontraient, suivant des procédés de composition parfaitement prévus, derrière deux ou trois cadavres étendus au bord du cadre, et en avant d’un nuage de fumée destiné à faire ressortir la silhouette du groupe, — ou bien, à l’exemple de Van der Meulen, ils rejetaient dans le fond du tableau les deux armées aux prises, sauf à les noyer l’une et l’autre dans les brumes de l’atmosphère ou dans l’étendue du paysage, pour ne mettre en évidence, au premier plan, que le héros de l’affaire paisiblement tourné vers le spectateur et lui indiquant d’une main complaisante la victoire que ses gens sont en train de remporter.

Survint Gros, et avec lui une véritable révolution dans la peinture des scènes de guerre, telle qu’on la pratiquait en France depuis le Bourguignon et Jean-Baptiste Martin : nous ne parlons pas de Lebrun, puisque ses Batailles d’Alexandre et même ses Conquêtes du roi, dans la grande galerie de Versailles, appartiennent, malgré les souvenirs historiques qu’elles consacrent, à la classe des œuvres toutes d’imagination. Sous le noble pinceau du peintre de la Bataille d’Aboukir, l’allusion allégorique fit place à la définition choi-