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La trahison des troupes et des jonques du foutaï fit malheureusement perdre le résultat principal de cette brillante journée. Les chefs alliés avaient tout lieu de croire que la ville était parfaitement entourée de tous les côtés et que toute fuite était impossible, même pour un seul rebelle. Il n’en était rien : les troupes impériales, sans doute effrayées de notre victoire ou épouvantées de la déroute de l’ennemi, laissèrent fuir les principaux chefs et les mieux armés d’entre les Taï-pings ; les jonques de guerre leur offrirent même passage à leur bord.

Kia-ding était à nous, mais il restait à poursuivre l’insurrection dans un centre non moins formidable, à Tsin-poo. Une garnison de 400 hommes des deux nations fut laissée dans la ville prise, et le 2 mai le convoi et les troupes rentraient à Shang-haï pour se préparer au siège de Tsin-poo. Plusieurs routes et arroyos, partant de Kia-ding, conduisaient à cette ville ; mais les alliés étaient devenus trop nombreux pour s’engager avec un si grand convoi dans des canaux peu connus, et que les rebelles pouvaient avoir barrés ou desséchés. Il était plus sûr de partir de Shang-haï, de s’embarquer sur le Whampoa jusqu’à Son-kiang, et là seulement de s’engager dans l’arroyo menant directement à Tsin-poo. Cette nouvelle expédition allait se faire exclusivement par eau, et les sampans étaient si petits qu’il fallut créer pour le transport des vivres et des hommes une véritable flotte de barques. Il était nécessaire que chaque homme pût s’y loger, y vivre et s’y reposer. L’amiral Protet perfectionna l’installation de ces espèces de tentes flottantes en rendant chaque groupe indépendant, maniable et combattant. Les deux obusiers de 30 furent établis sur deux jonques assez fortes pour supporter le tir des pièces. L’artillerie de campagne, composée de huit canons, pouvait être mise en batterie à terre en quelques instans, et être soutenue immédiatement par des troupes désignées d’avance. On se mettait en garde contre toute surprise dans un pays qui offre de si grandes facilités pour la guerre d’embuscade. En outre la canonnière n° 12, apportant l’appoint de son formidable canon rayé de 30, devait escorter le convoi et remorquer les traînards.

Une des grandes difficultés de la campagne dans un tel pays, sorte de Venise gigantesque, était de faire converger et arriver à jour dit, contre vent et marée, toute cette masse de jonques. La plupart étaient montées par des soldats complètement étrangers à la navigation de rivière. De rares Chinois, plutôt effrayés que flattés de leur pénible mission, suffisaient à peine à diriger ces barques encombrées et mal armées. Un malentendu, une faute de manœuvre suffisaient pour causer une horrible catastrophe, la perte d’une centaine d’hommes. Les amiraux, montés sur de rapides vapeurs, les