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à tort ou à raison, en vue du bon ordre et de la pacification des esprits. Aussi quoi de plus naturel en 1822 que le parti, pris par Horace Vernet, d’en appeler à l’opinion de la décision du jury qui avait cru devoir interdire à deux de ses œuvres l’accès du Salon? Quoi de plus légitime, de plus nécessaire même aux yeux de tout le monde que l’exposition publique ouverte, au lendemain de cet échec, dans l’atelier du peintre, et que le bruyant succès qui s’ensuivit?

Les tableaux en question n’avaient pas été, cela va sans dire, exclus comme inférieurs en mérite à l’ensemble des tableaux admis; mais le choix des sujets représentés, — l’un était la Bataille de Jemmapes, l’autre cette Défense de la barrière de Clichy que nous mentionnions tout à l’heure, — avait paru à la conscience un peu timorée des juges une menace pour la tranquillité publique ou tout au moins un choix intempestif. Bref, si l’on acceptait de grand cœur les autres toiles envoyées par l’artiste, on refusait l’hospitalité du Louvre à ces deux termes extrêmes de l’histoire militaire de la révolution et de l’empire, à cette double image du premier élan de notre gloire et de l’agonie de notre fortune. De là un refus non moins formel, fait par Horace Vernet, de subir l’arrêt qui le condamnait en partie, et la résolution, aussitôt exécutée que prise, d’exposer sous son toit non-seulement les ouvrages qu’il avait soumis au jury, mais encore des tableaux propres à rendre la protestation plus énergique et plus complète; de là aussi une émotion bien autrement vive que celle qui se serait produite au Salon, un empressement universel à venir admirer ces toiles proscrites, dont deux membres de l’Académie française avaient publié la description, — avec plus de lyrisme politique d’ailleurs que de sagacité critique et avec une obstination singulière à découvrir ici « la fougue et le coloris de Rubens, » là une « imitation éloignée, il est vrai, de Giotto[1]. » A quoi bon insister, au surplus, sur ces enthousiasmes de l’esprit de parti ou sur ces méprises de l’esprit littéraire? Quelles qualités pittoresques recommandent les tableaux peints par Horace Vernet à cette époque? Dans quelle mesure ces œuvres honorent-elles l’intelligence qui les a conçues et la main qui les a faites? Qu’ont-elles ajouté à la gloire de notre école? Telles sont les questions qu’il convient surtout d’examiner.

De toutes les scènes de guerre qu’Horace Vernet a retracées sur la toile pendant un demi-siècle, celles qui résument le mieux, à notre avis, les aptitudes naturelles et les caractères de son talent

  1. Salon d’Horace Vernet. Analyse historique et pittoresque des quarante-cinq tableaux exposés chez lui en 1822, par MM. Jouy et Jay, p. 2 et 86.