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capitaux et à l’emploi des machines, purent dès lors faire entrer en Turquie tous leurs produits, de quelque nature qu’ils fussent, moyennant un simple droit de 5 pour 100. Aussi les économistes de la Grande-Bretagne ne tarissaient-ils pas en louanges sur le compte de ces hommes d’état turcs qui, devinant les vrais principes et devançant presque toute l’Europe civilisée, avaient supprimé chez eux toute prohibition, abaissé les barrières de douane et inauguré en Orient la liberté du commerce. Ils oubliaient seulement de montrer à ces hommes d’état combien les mesures prises à l’égard de l’industrie nationale étaient contraires aux principes les plus élémentaires de la science, ou, pour mieux parler, au plus naïf bon sens. Tandis qu’on ouvrait les portes à deux battans aux produits de l’industrie étrangère en ne les frappant que d’un droit très léger, l’industrie nationale était gênée par de lourds impôts, perçus d’une manière irrégulière et vexatoire, ainsi que par des douanes intérieures ; la soie d’Amassia n’arrive entre les mains qui la tissent à Diarbékir et à Alep qu’après avoir payé d’abord la dîme, puis un droit de douane de 12 pour 100, ce qui fait en tout 22 pour 100. Comment voulez-vous que les pauvres tisserands arabes de Syrie, dans de pareilles conditions et avec une telle surcharge, puissent longtemps soutenir la concurrence ? Aussi tous les ans le nombre des métiers en activité diminue.

Il est juste de dire que cet état de choses a été heureusement modifié par le traité de commerce entre la France et la Turquie, dont les ratifications ont été échangées le 29 avril 1862 ; ce traité a servi de modèle, avec quelques légères variantes, aux conventions du même genre que la Porte a conclues, vers la même époque, avec les autres puissances qui ont des intérêts commerciaux engagés en Orient. Ces actes suppriment implicitement les douanes intérieures, élèvent les droits d’importation qu’auront à subir les marchandises étrangères, sans leur donner pourtant un caractère prohibitif, et abaissent d’année en année, jusqu’à une réduction de 1 pour 100, le droit que paieront à la sortie les produits de l’empire. Des dispositions accessoires, qui tendent à ménager également les intérêts des parties contractantes, se groupent autour de ces principes généraux et paraissent sagement combinées ; mais le mal est plus facile à faire qu’à réparer, et tant de causes concourent encore en Turquie à mettre l’industrie nationale dans une situation défavorable, à paralyser ses efforts, que les stipulations nouvelles ne réussiront probablement pas à ralentir sa décadence en lui assurant des prix plus rémunérateurs[1].

  1. Voyez l’Annuaire des Deux Mondes, 1861, p. 537.