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si vague, si incohérente, quand son point de départ était si ferme, si arrêté. Après lui et à mesure que le jour se faisait dans cette énigmatique période, il n’était pas plus facile de comprendre comment des faits aussi compactes, aussi vivans que ceux que l’on voyait se dessiner de plus en plus nettement sur ce fond obscur, pouvaient reposer sur un terrain aussi fluide, aussi vaporeux que son Christ impersonnel.

Tel était l’état de la question quand les travaux de l’école de Tubingue commencèrent à attirer l’attention des théologiens allemands. Il y avait tout un édifice historique à élever. Quelle méthode suivre pour coordonner les observations et les découvertes que la critique religieuse avait amoncelées ? La philosophie hégélienne avait raison de dire que l’histoire aussi a sa logique, l’histoire des idées religieuses comme toutes les autres. Si donc on pouvait trouver par la voie historique ordinaire un ou deux points de repère incontestables, absolument certains, il n’y avait plus qu’à combiner logiquement les matériaux encore disséminés, de telle manière que la pensée pût les relier sans contradiction aux pierres angulaires déjà posées. D’avance on devait présumer que l’esprit humain avait été fidèle à ses lois constitutives dans les premiers siècles de l’église chrétienne. Par conséquent, si l’on parvenait à organiser la masse des faits isolés de manière à en former un tout proportionné, naturel, satisfaisant l’esprit, la réussite même de l’opération devait fournir la preuve qu’on avait retrouvé la vérité historique.

Eh bien ! les deux points de repère, les deux faits qui dominent avec évidence le développement religieux des deux premiers siècles sont trouvés. Le premier, c’est qu’à la fin du second siècle, au temps d’Irénée, de Tertullien, de Clément d’Alexandrie, il existe une église catholique organisée, répandue dans toutes les provinces de l’empire et même au-delà, une ou du moins croyant l’être dans sa doctrine et sa discipline, dirigée par des évêques en possession d’une règle de foi assez semblable à celle que nous appelons aujourd’hui le symbole des apôtres, se disant par conséquent attachée à l’enseignement apostolique tel que les apôtres sont censés l’avoir transmis d’un commun accord aux églises locales qu’ils ont fondées. — Le second, c’est que, si nous revenons au milieu du premier siècle, la situation est tout autre. L’église apostolique, la société chrétienne du temps des apôtres, est agitée par de graves dissensions, l’unité de doctrine n’existe nullement, et les partis en lutte s’opposent mutuellement des noms d’apôtres dans leurs violentes controverses. La dispute roule à cette époque sur les rapports du christianisme avec le judaïsme. Les uns, disciples et partisans de l’apôtre Paul, disent qu’il faut rompre complètement avec la loi juive