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naturel des choses humaines ont reconnu qu’elle trouva, quand elle naquit, un monde préparé à la recevoir. De vagues attentes, des frémissemens mystérieux, je ne sais quel recueillement succédant aux tempêtes qui avaient précédé l’établissement de l’empire, le coucher mélancolique des vieilles croyances et des divinités de la nature, tout cela a été cent fois constaté, décrit, étudié par les historiens et chanté par les poètes :

. . . . . Dans Virgile parfois,
Le vers porte à sa cime une lueur étrange.

Mais sans contester ces appréciations poétiques de la situation, l’historien sévère, qui cherche des lignes précises dans le mouvement général, discerne certains grands traits qui sont autant de prophéties d’un nouvel ordre de choses qui va naître. D’abord il faut que, sinon l’idée réfléchie, du moins le sentiment de l’humanité se dégage dans la conscience humaine, et c’est à l’action combinée de la Grèce et de Rome que cela sera dû. Ce n’est pas seulement parce que la philosophie grecque a ruiné la foi mythologique (peut-être serait-il tout aussi vrai de dire qu’elle est née elle-même de la décadence déjà bien avancée de cette foi) qu’elle a frayé la voie à l’Évangile, c’est bien plus encore parce que, depuis Platon et Aristote et malgré eux, revenant ainsi au principe même de l’enseignement socratique, cette philosophie a concentré de préférence ses efforts sur l’homme en lui-même, sa nature, ses besoins, sa destinée. Quels sont, au moment de l’apparition du christianisme, les systèmes populaires et puissans ? C’est le stoïcisme et l’épicurisme, dont la tendance commune, malgré leurs différences radicales, est la recherche du souverain bien. C’est donc l’élément éthique, c’est l’homme en lui-même qui attire les méditations des penseurs. La philosophie la plus respectable de cette période, celle qui est représentée par Cicéron, Sénèque, Épictète, Marc-Aurèle, est un stoïcisme passablement éclectique, mais avant tout moral. À chaque instant, la morale philosophique et la morale chrétienne se rencontrent sans s’en douter. Sénèque par exemple a déjà des pages de morale toute chrétienne, et c’est ce qui a donné une certaine apparence à la tradition, d’ailleurs insoutenable, de ses rapports avec saint Paul. Baur a fait à ce sujet les rapprochemens les plus curieux. Au premier abord, il y a quelque chose de paradoxal à prétendre que l’épicurisme a aussi préparé les esprits au christianisme. Pourtant, par cela même qu’il ramène l’homme à son être intérieur et le force ainsi de réfléchir sur sa nature essentielle, il ouvre la porte à une religion qui débute par dire, non pas au Juif, au Grec, au Romain, au Gaulois, mais à l’homme : Rentre en toi-même !