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n’a pas la ténacité et l’élasticité de celui qui provient de terrains plus fertiles. En revanche, ces chênes sont excellens pour la fente : on en fabrique des lattes, des douves, des merrains, etc., objets d’un très grand débit et d’une valeur considérable dans les environs de Paris. Le hêtre et le charme ne se rencontrent encore qu’accidentellement dans les futaies, et il s’en trouve trop peu de grandes dimensions pour qu’on puisse en tirer parti dans l’industrie. Quand la forêt tout entière sera en futaie, et que ces essences, mélangées au chêne, constitueront une partie importante des peuplemens, il y aura sans doute alors avantage à y installer, comme à Compiègne, un chantier d’injection d’après le système Boucherie, afin de pouvoir les utiliser comme traverses de chemins de fer. Jusqu’ici on se borne à les débiter en chauffage, ainsi qu’on fait également de tous les brins de taillis[1]. Les pins encore trop jeûnes pour donner de là charpente sont recherchés par les boulangers, et les bourrées par les chaufourniers du pays. Tous les autres bois sont expédiés sur Paris, qui est le centre de consommation de toute cette région, et qui étend jusque dans la Bourgogne son rayon d’approvisionnement. C’est par la Seine, qui contourne la forêt sur quelques points, que les bois se dirigent vers la capitale, soit par bateaux, soit en immenses radeaux. La consommation locale est en général desservie par des bois particuliers, assez nombreux dans le voisinage.

La forêt de Fontainebleau emploie chaque année un nombre considérable d’ouvriers et débucherons, tant pour les travaux d’amélioration et d’entretien que pour l’exploitation des coupes. La plupart des bûcherons sont du pays, c’est-à-dire de Fontainebleau même et des villages voisins, et beaucoup, exerçant ce métier de père en fils depuis un très grand nombre de générations, y ont acquis une habileté prodigieuse. L’habileté en effet est chose héréditaire, et l’on peut affirmer que celui dont les ancêtres ont pendant de longues années exercé une certaine profession y est naturellement plus apte que tout autre dont l’éducation est complètement à faire. J’ai vu des bûcherons tellement habiles à manier la hache, tellement sûrs de leur coup d’œil, qu’ils fendaient d’un seul coup une noisette placée entre leurs doigts de pied. Ils sont payés à la tâche, et peuvent gagner de 2 francs 50 cent, à 3 francs par jour ; ils ont en outre les copeaux et les bouts de bûches qui n’ont pas les dimensions requises pour le commerce. Il leur arrive quelquefois de s’entendre entre eux pour faire la loi aux marchands de bois et leur imposer des conditions plus onéreuses, mais le cas est rare ; la

  1. On distingue les bois de feu suivant leurs dimensions et qualités en bois de corde ou grands bois, charbonnette, bois câlin, bois brigot, cotrets, bois de rebut et bourrées.