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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 45.djvu/185

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politique qu’il a mis partout, dont il use dans les localités comme au timon de l’état. Rien n’est mieux avisé. Il est mauvais d’abandonner des forces à elles-mêmes, sous prétexte qu’elles sauront bien trouver leur issue, leur aliment. À procéder ainsi envers l’opinion, on court le risque d’une privation ou d’une explosion, l’une et l’autre au grand dommage de la chose publique, tandis qu’en organisant l’opinion, on a quelque chance d’en profiter et de la discipliner. Politique à part, dans tout ordre de faits, quand une faculté a inventé ou perfectionné un organe, vous ne pouvez la retenir dans l’usage limitatif ou plutôt dans la sujétion de l’organe ancien et imparfait. Aujourd’hui que la locomotion, la destruction, l’échange des idées et des produits, ont découvert des voies nouvelles, on ne peut pas dire au monde : Vous guerroierez sans poudre, vous commercerez sans monnaie de papier, vous circulerez sans vapeur et sans électricité, vous penserez sans journaux.

Or de nos jours la liberté politique est partout autour de nous avec cet appareil de garanties et de discussions parlementaires qui vous paraît superflu. Étant donné que la liberté politique est un degré de vie qui est venu aux sociétés modernes, un article de civilisation en quelque sorte, comme les banques, les armées permanentes, les chemins de fer, les hôpitaux, l’organe en est tout trouvé : c’est le régime représentatif, et même cet organe s’impose absolument à cette fonction, à ce besoin. La liberté ne peut avoir d’autre procédé parmi les hommes qui veulent se gouverner eux-mêmes et qui ne peuvent tenir sur une place publique. Il faut que toute liberté en passe par là, ce qui ne veut pas dire qu’elle se ressemblera partout ; mais partout elle offrira ce même trait du mandat électif, tout comme une banque, une armée, ; qu’on trouve d’un bout à l’autre de l’Europe, présentent çà et là des conditions de régime fort diverses, sauf cette condition capitale et universelle de la monnaie de papier, de la permanence sous le drapeau.

Quand la liberté politique a pris cette forme, quand l’opinion est : organisée de la sorte, elle produit un effet précieux, qui est l’accélération du progrès : elle a des ailes pour suivre l’essor des esprits, pour apporter la récompense aux générations qui ont eu la peine et l’effort, ce qui est inestimable. Autrement l’opinion triomphe sans doute à la longue, et l’humanité recueille tôt ou tard son héritage. de progrès, mais à cette condition du temps qui est terrible pour les hommes. Or laissez-moi penser non-seulement à l’humanité, mais aux hommes, qui n’ont guère eu jusqu’à présent que le temps de souffrir et de mourir. Dans le peu de durée départi à ces pauvres êtres, tout dépend pour eux de l’allure du progrès : vive et rapide, elle vaudra à des générations entières le triomphe de Lafayette ou tout au moins la vision suprême de Moïse.