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qu’il vienne. C’est à quoi il est fort naturel de penser ; mais encore y faut-il pourvoir par un juste remède et non par un expédient mal avisé, où l’on oublierait et le mal réel et le seul traitement qui s’y applique. Or je réponds que ces grands coups se portent ou se parent dans une capitale et non ailleurs, c’est-à-dire là seulement où se trouve la tête des partis et du gouvernement. Une révolution, un coup d’état, une insurrection, qui ne frappe pas là, frappe et expire dans le vide ; la province ne sait qu’avorter ; c’est ce qui parut bien en 1848. J’ai vu certaines villes aller jusqu’à expulser les commissaires du gouvernement provisoire sans pousser plus loin. Ce n’était pas que la colère leur manquât, une colère unanime ; seulement, après quelques efforts pour rattacher à elles les villes et les campagnes voisines, elles sentaient bien vite leur isolement, leur inanité, le peu qu’elles pesaient à côté de Paris. Mais je prends mal mes exemples. Le plus grand souvenir, la preuve sans réplique à cet égard, c’est ce qui se passa en Algérie à la même époque, où se trouvait une armée de cent mille hommes sous un fils de roi digne de cette armée, laquelle néanmoins estima l’aventure au-dessus de ses forces.

Cette soumission absolue, implicite, que rencontre toute chose accomplie à Paris, n’est que de nos jours. Autrefois on tenta la résistance ; mais il faut voir comme on échoua ! en 93 par exemple, où se passèrent des choses peu connues dans leur détail et qui valent la peine d’être expliquées. Il faut savoir qu’à cette époque les localités étaient souveraines dans toute la force du terme, et cela en vertu de la loi du 14 décembre 89, laquelle, instituant partout des administrations électives, et pour la commune, et pour le département, n’avait mis nulle part des agens du pouvoir central pour en imposer les lois et les mesures. Les intendans n’existaient plus, les préfets n’existaient pas encore, et, pour le dire en passant, c’est aux mauvais souvenirs laissés par les intendans qu’il faut attribuer cette prodigieuse omission de la grande assemblée. Elle entendait bien du reste que l’administration eût le roi pour chef, et descendît de là jusqu’à la dernière localité. Elle s’en est expliquée d’une manière formelle dans les instructions annexées à la loi du 14 décembre 89 : seulement elle oublia d’armer le principe qu’elle posait. En fait, nul lien n’existait alors pour rattacher et soumettre les extrémités au centre. Il me semble que cette incohérence était une parfaite souveraineté répandue dans les départemens. Or, tandis qu’ils étaient ainsi livrés à eux-mêmes, il se passait au centre tout ce qui pouvait les en aliéner, les en arracher avec horreur : la commune de Paris, le club des jacobins, avaient subjugué la convention et régnaient par la terreur ; le sang coulait à flots, un sang innocent, car rien ne