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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 45.djvu/191

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qui se valent, qui constituent autant de droits. On se fait une assez juste idée des conflits qui peuvent diviser une commune, quand on se représente la division des localités elles-mêmes, leur incohérence topographique. On ne compte pas moins de trente mille sections de communes, Ce qui contient le germe d’autant de disputes sur remplacement de l’école, du cimetière, du lavoir, de l’hôpital, etc.[1].

De ce chef, les communes portent en elles un litige permanent, un contentieux organique pour ainsi dire, qui veut au-dessus d’elles des juges, des arbitres. Autrement vous créez une anomalie inconcevable, celle d’un juge et partie, sous prétexte que la partie en question est une majorité. Vous instituez une agrégation de personnes, sous le nom de commune, parmi lesquelles tout différend se juge à la majorité, c’est-à-dire par le droit du plus fort : un déni de justice ou plutôt de civilisation, car cette force du nombre n’a pas plus de droit et de raison que la force physique constatée par le poids des muscles. Au lieu de se battre, on se compte, et ce dernier procédé, pour être moins violent, n’est pas plus raisonnable que l’autre.

Ainsi le degré de puissance et d’autonomie où se forment les caractères politiques, où les volontés s’exercent et s’aguerrissent, ne peut être attribué aux communes. Quant à l’intelligence politique, jamais elle ne naîtra dans la gestion des affaires communales. Cette gestion fera des hommes plus habiles dans leurs affaires privées, dans leur industrie, dans leur métier : du conseil municipal, ils retomberont chez eux avec un esprit plus ouvert et plus étendu, pour s’être appliqués à des choses plus complexes, plus considérables que leur besogne quotidienne, pour s’être mêlés peut-être à des esprits plus vifs et plus élevés. Cet avantage n’est pas mince ; mais il est le seul qu’on puisse attendre d’un maniement d’affaires communales. Qui peut plus peut moins, cela se conçoit parfaitement ; mais ne croyez pas qu’on s’achemine par cette voie bornée, par ce manège monotone des choses locales, à comprendre soit des questions de politique étrangère ou religieuse, soit même simplement des questions de libre échange, de banque, de chemins de fer, d’associations commerciales, encore moins à en faire le texte et la condition d’un mandat électoral. Ce qu’on acquiert dans l’habitude des petites choses, c’est l’incapacité des grandes, un point que nous avons déjà touché ailleurs.

  1. Voyez le Traité des Sections de Communes, deuxième édition, par M. Aucoc, maître des requêtes.