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insigne grandeur dans une société de s’attaquer à pareille œuvre. Certaines questions, encore qu’elles demeurent pendantes et irrésolues, témoignent plus en faveur d’un peuple que certaines solutions. Tout dépend des sujets.

Tout comme il est glorieux pour l’esprit humain de philosopher, sans conclusion possible, sur l’origine et la fin des êtres, de même c’est l’honneur d’une nation de marcher vers l’idéal du droit, qui est une des faces voilées de l’infini. La certitude, la sécurité, n’appartiennent qu’aux questions et aux biens secondaires. Si c’est là ce qui vous touche, il faut mettre un traité de procédure ou d’arithmétique au-dessus des Méditations de Descartes, au-dessus des Elévations sur les Mystères de Bossuet, ou bien encore il faut préférer le jury, qui est une partie secondaire et acquise de la souveraineté nationale, à cette souveraineté tout entière exprimée par le droit de la nation et de ses représentons.

D’une grande visée, d’une grande poursuite, il reste toujours quelque chose, un aperçu, un premier pas, et surtout un engagement pris par les consciences, pris à la face du monde, d’aller tôt ou tard jusqu’au bout. On peut préférer cette aventure, avec ses délais et ses chances, à telle possession moindre, mais actuelle. Comme c’est là, bien sûr, le sentiment français, et que le sort en est jeté, il serait bien inutile de s’appesantir sur cette apologie. En attendant, quelques biens nous sont acquis. Dans notre appétit de l’idéal, nous avons mis la main sur certaines réalités précieuses et touché à certaines autres dont la trace est restée dans nos âmes et dans nos mœurs.

Certes on ne peut pas dire que les ambitions de 89 aient passé tout entières dans nos lois, et ces lois imparfaites ne sont pas elles-mêmes à l’abri de toute éclipse. Cependant l’homme a été retrouvé, restauré dans ses droits, tandis qu’il ne valait auparavant que par la caste et dans la caste. En même temps, si le droit politique n’a pas pris racine parmi nous d’une manière aussi profonde que cette collection de droits individuels appelés le droit commun, s’il n’a pas fourni une carrière aussi sûre et aussi continue, cependant il n’a pas été la lettre morte des constitutions. Il a vécu, d’une manière convulsive, il est vrai, mais enfin il a vécu depuis 89 jusqu’au 18 brumaire. Il en reparut de grandes lueurs sous la restauration : à ce moment, le citoyen et la nation reprirent leur droit, s’élevèrent à vue d’œil, et l’on ne voit pas que la tutelle administrative ait été cette fatalité, cette malédiction inexorable alléguée par M. Royer-Collard. Sous ce régime furent élues et la chambre qui fit les lois de 1819, où la presse relevait du jury, et celle qui renversa le ministère Villèle, et celle qui prévalut contre une dynastie. Rien ne montre à cette époque