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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 45.djvu/209

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dans certaines cours d’Orient, des barrières infranchissables. Ils l’ont porté sur les hauteurs de la pensée, et lui ont appris à dédaigner tout ce qui n’était pas lui-même. L’analyse scientifique a de tout temps réagi contre ces nobles entraînemens de la philosophie : il s’est toujours trouvé des hommes qui, bornant leur horizon et leurs espérances, ont étudié notre espèce dans ce qu’elle a d’humble, de matériel, de tangible. Les observateurs ont patiemment démoli la base fragile de tant de grands édifices qui montaient jusqu’aux cieux. Ils ont étudié l’homme ailleurs que dans son âme : ils ont scruté ses besoins physiques, ses fonctions, sa chair, ses maladies ; ils ont découvert ainsi des similitudes, des affinités de plus en plus nombreuses par où notre espèce se rattache au reste de la création animée. La plus grande découverte des sciences modernes, celle en qui se résument presque toutes les autres, c’est l’unité du plan organique de la nature. Dans ce vaste tableau, on ne peut refuser une place à l’homme : il la prend de plein droit, et ce serait faire violence aux faits les mieux constatés que de l’en exclure. « Il est dangereux, écrivait Pascal dans ses Pensées, de trop faire voir à l’homme combien il est égal aux bêtes sans lui montrer sa grandeur. Il est encore dangereux de lui trop faire voir sa grandeur sans sa bassesse. Il est encore plus dangereux de lui laisser ignorer l’un et l’autre, mais il est très avantageux de lui représenter l’un et l’autre. »

La question des origines de l’espèce humaine telle que la science la pose et la discute aujourd’hui est une de celles qui font le mieux ressortir la justesse du mot de Pascal. C’est ici que notre grandeur et notre faiblesse se montrent avec le plus d’évidence. Dans le domaine un peu confus des recherches entreprises sur cette question se rencontrent plusieurs sciences particulières, la géologie, la physiologie, la zoologie, la philologie elle-même. Elles s’y donnent la main pour faire alliance contre des doctrines demeurées longtemps à l’abri de toute contradiction, ou pour mieux dire reléguées en dehors de toute discussion. La science moderne ne se contente pas de renverser les bases, bien fragiles, il faut l’avouer, des chronologies classiques et de faire remonter la naissance de l’homme à un terme si éloigné que notre histoire écrite apparaît comme un moment fugitif dans une incalculable série de siècles ; elle va plus loin, elle prétend nous arracher nos titres de noblesse, et nous représente comme les successeurs, les descendans d’une famille de grands singes anthropoïdes. Elle relègue parmi les mythes, les chimères, la tradition d’un homme primitif, brillant de jeunesse et de beauté, errant dans les jardins de l’Éden, avec son innocente compagne, au milieu d’une cour familière d’animaux, pour nous montrer sur des rivages glacés je ne sais quel être abject, plus hideux que l’Australien,