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le castor y vivait encore avec le pingouin, maintenant disparu de l’Europe et relégué au Groenland ; le phoque venait aussi s’ébattre sur ces côtes, qu’il a depuis longtemps abandonnées. Les naturels de cette triste région étaient plus barbares que ceux des latitudes plus méridionales, car ils n’avaient d’autre animal domestique qu’un petit chien. À en juger par la forme des crânes humains trouvés dans les tourbes et près des tas de coquilles, la race qui habitait alors les rivages de la Baltique était petite ; par la rondeur de la tête, les arcades sourcilières proéminentes, elle rappelle tout à fait les Lapons d’aujourd’hui.

La nuit des âges barbares régnait d’un bout à l’autre de l’Europe pendant l’époque de la pierre polie ; mais cette nuit devient bien plus épaisse quand on pénètre dans l’âge antérieur durant lequel l’homme ne donnait encore à aucun de ses ouvrages une forme achevée, et n’avait d’autres instrumens que des silex grossièrement taillés, des esquilles tranchantes et ébréchées. Il faut se séparer ici de l’archéologie et prendre la géologie pour guide. Elle nous amène au milieu d’une faune bien différente de celle des âges qui ont suivi ; elle nous montre deux espèces de rhinocéros se baignant dans les fleuves de la France et de l’Angleterre, des troupeaux d’éléphans errant dans nos latitudes avec le bœuf sauvage, avec des cerfs et des chevaux d’espèce aujourd’hui inconnue ; elle pénètre dans les cavernes, et y découvre des tigres, des hyènes, des ours différens de ceux qui vivent aujourd’hui : nous entrons dans le monde qu’on est convenu de nommer antédiluvien.

Dans cette période, si obscure et si éloignée qu’elle soit, la paléontologie a pourtant cherché à tracer quelques limites chronologiques. Un savant français, M. Lartet, considéré aujourd’hui à bon droit dans notre pays comme la première autorité en matière d’anatomie comparée, y distingue quatre ères différentes. Pendant celle qui se rapproche le plus de nous, l’aurochs lithuanien vivait encore en France ; M. Lartet en a signalé des restes trouvés dans la caverne de Massat (département de l’Ariège), avec des flèches, une sorte d’épingle grossière faite d’un os d’oiseau, une corne de cerf sur laquelle une main inhabile a gravé une tête d’ours. Au pied des Pyrénées, M. Lartet a trouvé récemment à Aurignac (département de la Haute-Garonne) une sépulture d’hommes primitifs : une dalle de pierre, cachée par des éboulis, servait de porte à une chambre ouverte dans le roc, où l’on trouva entassés dix-sept squelettes humains. Malheureusement ces restes précieux ont été perdus pour la science : on les a déposés au cimetière d’Aurignac, et M. Lartet n’a pas été assez heureux pour les retrouver. Il a fait des fouilles dans la grotte, et devant la porte il a trouvé une couche assez épaisse de cendre et de charbon avec beaucoup d’ossemens et une centaine