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chair, dont le sang est notre sang ? La zoologie ne peut nous laisser aucune incertitude à cet égard ; elle nous montre du doigt ces êtres que Linné au XVIIIe siècle nommait anthropomorphes ou primates, et que Cuvier appela les quadrumanes. Ah ! si l’on venait nous dire qu’une filiation obscure rattache ces êtres au pauvre nègre du Congo, aux sujets féroces du roi de Dahomey, aux Fans cannibales qui ouvrent des boucheries de chair humaine, aux maigres et hideux Australiens ; si l’on ajoutait que ces populations si dégradées n’ont sans doute pas avec les singes anthropoïdes modernes une parenté directe, mais que les races inférieures et les espèces actuelles de quadrumanes représentent en quelque sorte les extrémités de deux branches qui ont été sans cesse en divergeant depuis des périodes géologiques assez anciennes, nous nous consolerions sans doute assez facilement de ces déclarations de la science ; mais dès qu’il s’agit de nous-mêmes, notre orgueil met ses jugemens en suspicion. Le moi se révolte, il ne raisonne pas, il repousse toutes ces chaînes dont on veut le charger ; il rejette ces solidarités accablantes ; il lui est si facile, il lui est si doux de s’isoler, et, quand le monde l’écrase, ne peut-il refaire le monde dans sa pensée ? Aussi n’est-ce pas sans précautions que M. Huxley aborde la comparaison de l’homme et des singes anthropoïdes. « Essayons un moment, dit-il, d’ôter le masque de l’humanité ; nous serons des savans saturniens, si vous voulez, assez familiers avec les animaux qui habitent aujourd’hui la terre, et occupés à discuter les rapports qui unissent ces animaux à un étrange et nouveau « bipède droit et sans plumes » que quelque voyageur entreprenant, surmontant les difficultés de l’espace et de la gravité, aurait apporté de la distante planète pour notre inspection. » C’est, on le voit, l’homme physique, le cadavre, non l’être moral et intellectuel dont s’empare l’anatomie comparée. Elle le range d’abord à première vue parmi les vertébrés mammifères, puis le classe, d’après la forme de la mâchoire inférieure, des dents molaires et du crâne, parmi les mammifères placentaires, c’est-à-dire parmi ceux qui pendant la période de gestation sont nourris par l’intermédiaire d’un placenta ; enfin elle le rapproche de l’ordre des singes, en se demandant si elle doit l’y placer, ou créer en son honneur et à côté d’eux un ordre nouveau.

Ici la discussion se resserre sur un terrain bien étroit : dans l’ensemble de son organisation, l’homme se rapproche surtout des gibbons, des orangs, des chimpanzés et des gorilles, et particulièrement de ces deux derniers grands singes africains. Depuis fort longtemps, on connaît le chimpanzé, l’on a pu étudier ses mœurs, et il n’est personne qui n’ait eu occasion d’en voir dans les musées zoologiques ou les ménageries. Le gorille, au contraire, n’est entré