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La sortie des ports d’Angleterre de corsaires confédérés les exaspère. C’est à la tolérance anglaise qu’ils imputent les pertes que l’Alabama a fait éprouver à leur commerce. Quelle ne sera pas leur indignation quand ils apprendront que le Japan a pu prendre la mer impunément ! La saisie de l’Alexandra, promptement opérée par le gouvernement anglais après le départ du Japan, sera-t-elle aux yeux des Américains une démonstration suffisante de la sincérité avec laquelle l’Angleterre entend pratiquer la neutralité ? Nous demeurons donc en Europe dans l’attente des impressions que produira en Amérique soit un nouvel exploit de l’Alabama, soit le départ du Japan, et malheureusement les fermens d’irritation qui existent déjà, les élémens inflammables que révèlent aux États-Unis toutes les manifestations publiques, les entraînemens fougueux propres aux états populaires nous permettent de craindre les complications les plus graves. Notre seul espoir, c’est que M. Lincoln et M. Seward comprennent l’étendue de la responsabilité qui pèse sur eux dans une telle crise, et que le cabinet de Washington ait la force et le courage de ne point se conduire à la face du monde comme un mob-government. Si le gouvernement américain est juste et sensé, il devra reconnaître que le ministère anglais apporte dans les transactions actuelles toute la mesure qui lui est possible, et fait des efforts très réels pour résister aux entraînemens belliqueux qui pèsent sur lui. Dans les cercles élevés de Londres et dans le parlement, on a le sentiment et de la gravité de la situation et des devoirs de modération et de prudence que cette situation impose ; on y a réprouvé les violentes provocations que M. Roebuck n’a pas craint d’adresser aux passions américaines. Le gouvernement américain se couvrira d’honneur aux yeux du monde, s’il apporte dans les questions litigieuses qui se sont élevées entre les deux pays un égal esprit de modération et un peu de cette patience qui est quelquefois une suprême habileté. Le patriotisme lui fait un devoir en ce moment de ne point outrer ses susceptibilités. Qu’il se souvienne que l’Angleterre n’est plus retenue par les mêmes intérêts qui la rendaient autrefois si patiente dans ses conflits avec l’Amérique ! Autrefois l’Angleterre avait à redouter que la guerre ne la condamnât à la famine du coton et ne mît les manufactures en détresse. Ce mal est fait aujourd’hui, et au contraire la guerre bloquerait le nord, débloquerait le sud et rendrait le coton aux Anglais. Pour les États-Unis, le désastre d’une guerre avec l’Angleterre serait sans compensation, assurerait l’indépendance des états séparatistes et répandrait dans le nord la ruine et l’anarchie.

La question de Pologne n’est pas moins désolante que les affaires d’Amérique ; nous en avons cependant meilleur espoir. C’est à bon droit que l’on dit que la question est européenne ; elle le deviendra chaque jour davantage. D’abord le mouvement dure, se généralise et donne à l’Europe la démonstration de plus en plus éclatante de l’impuissance du gouvernement russe. Nous avons sous les yeux une adresse non encore publiée de la no-