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de talent donné par un poète en renom et la même invocation des gloires de la littérature contemporaine, comme si un tel certificat et une telle invocation avaient de quoi suppléer au défaut de souffle et de vigueur. Enfin c’est toujours la même logomachie et le même thème éternellement rebattu : Contemplation, Ascension vers Dieu, Tristesse d’amour, l’Idéal, la Chanson de la brise, etc. Quant aux étoiles, aux fleurs, aux parfums, aux rayons, aux larmes, à l’infini, il en est fait dans ces vers un abus effroyable. La muse d’aujourd’hui (si c’est là une muse) s’en va reprendre, comme une servile discoureuse, le langage usé des précédentes années. Quand Rabelais peignait si plaisamment ces gens qui « de néant faisoient choses grandes, et grandes choses faisoient à néant retourner, » qui a coupoient le feu avecques un Cousteau et puisoient l’eau avecques un rets, » il ne croyait se railler que des abstracteurs de quintessence philosophique ; mais la moqueuse allégorie s’applique fort bien aussi aux poursuivans malheureux de la poésie.

L’un écrit le Poème de la Vie[1], ou ce qu’il juge tel, en quatre épisodes : Eula, Roger, Marguerite, la Voix des Morts, et prévient obligeamment le lecteur de ce qu’il doit trouver dans ces quatre épisodes. Le lecteur ne trouve rien qu’une versification vulgaire et une langue à l’avenant, que nulle idée n’illumine, que nulle vive émotion n’échauffe. Un autre[2], associé correspondant de l’académie de Clermont, publie un volume d’Isolemens ! Ce pluriel barbare annonce un recueil de comédies et de poèmes. Le théâtre se compose de deux comédies et d’un proverbe où l’auteur ne badine pas. Quant au style et au goût raffiné de l’écrivain, en voici un exemple. Une marquise dit élégamment d’un fauteuil où son mari s’asseyait :


....... De mon défunt époux
Il encadrait, hélas ! les momens les plus doux.


N’est-ce point le cas de dire avec Cathos, dans les Précieuses ridicules : « Ah ! mon Dieu, voilà qui est poussé dans le dernier galant ? » Évidemment la poésie n’est pas le fait de l’auteur. Que n’use-t-il de la prose ? Le compliment de M. Jourdain n’était pas rimé.

L’auteur des Rêves poétiques[3] s’est aussi trop pressé d’acheter


....... La triste expérience
Sous les feux dévorans de la publicité.


Il se félicite un peu tôt de la liberté grande et de la bonhomie du public. Quelle nécessité le presse, s’il fait des vers depuis qu’il est né (il l’avoue), de « fouiller ce tas poudreux » pour nous « chercher quelque chose ? » Après

  1. Roger, poème de la vie, par le marquis de Valori. — Dentu, 1863.
  2. Isolemens, comédies et poèmes, par M. Louis Chalmeton. — Taride, 1863.
  3. Rêves poétiques, par M. Alfred de Montvaillant. — Dentu, 1863.