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faire aimer. Il n’a pas de peine à y réussir, car, en dépit des siècles, saint Louis est encore un des souvenirs les plus populaires de notre histoire, et il n’y a pas de saint que nous tenions pour saint plus volontiers, sans avoir besoin pour cela de recourir à la volumineuse procédure qu’on mit douze ans à instruire avant de le canoniser.

Toutefois l’intérêt véritable de l’histoire de France commence pour nous quand se montrent les élémens dont est formée la France d’aujourd’hui, c’est-à-dire la bourgeoisie, avec les communes, le peuple, pendant la guerre de cent ans. M. Trognon a raconté cette dernière époque avec une émotion bien naturelle, et il fait, parfaitement voir d’où vint en ce triste moment le salut de la France. Tandis que beaucoup de grands seigneurs transportaient assez facilement leur hommage du roi de France au roi d’Angleterre, la bourgeoisie et le peuple ne se résignaient pas à la domination des Anglais. C’est en vain que le duc de Bedford voulait distraire Paris de ses regrets par l’éclat de ces fêtes auxquelles prenaient part, sans trop de scrupules, le duc de Bourgogne avec ses barons et toute la fleur de la chevalerie ; le peuple se tenait en dehors de ces fêtes de l’étranger, et, comme il ne lui était pas permis de se plaindre ouvertement, il exprimait à sa façon sa tristesse. « Les chroniques contemporaines, dit M. Trognon, nous apprennent ce qui alors même (août 1424) tenait attentif et ému le peuple de la capitale : c’était le spectacle lugubre de la danse macabre qui venait d’être importé des bords du Rhin. Pendant plus de six mois, une foule immense ne cessa de se porter sous les charniers du cimetière des Innocens pour voir la Mort, sous la figure hideuse d’un squelette entraînant dans le mouvement d’une ronde infernale les rois, les empereurs et les papes pêle-mêle avec les créatures les plus abjectes et les plus méprisables. Cette représentation horrible, mais saisissante, de l’égalité humaine devant la mort semblait être une consolation offerte aux souffrances inouïes de l’époque ; il n’y avait qu’un aussi sombre divertissement qui convînt à d’aussi cruelles misères. » Parmi ces misères, il n’y en avait pas qui parût plus lourde à ce peuple et qui lui pesât plus que d’être asservi à l’étranger. M. Michelet a fait remarquer que cette expression « un bon Français » date du XIVe siècle : le mot et la chose sont du même temps. C’est par une explosion de patriotisme populaire que la France alors a été sauvée. Tandis que la bourgeoisie faisait bravement son devoir à la cour du pauvre roi de Bourges à côté des seigneurs restés fidèles, que Jacques Cœur, le premier en date des banquiers patriotes, prodiguait son argent, que Bureau armait sa redoutable artillerie, que la population des villes s’illustrait par sa résistance héroïque à Orléans, le peuple des campagnes envoyait Jeanne d’Arc au secours de la France.

On doit un peu s’étonner qu’après avoir dépeint avec tant de sympathie ce grand mouvement populaire, M. Trognon se soit montré si dur pour Louis XI. « C’était, dit-il, un de ces tyrans qui mettent une très grande