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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 45.djvu/279

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de fatalité réparatrice faisaient à demi renaître un peuple des convulsions du continent, de quel côté pouvait se tourner un patriote polonais ? Rien ne semble plus simple aujourd’hui à la lumière de toute une histoire ; le problème était plus obscur alors dans cet état de l’Europe où une idée de justice n’était point précisément l’âme de la politique, et où cette nation même dont les destinées recommençaient à être en question avait pu être abattue, violemment supprimée sans trouver un secours. La France, il est vrai, après avoir paru abandonner la Pologne, après avoir licencié ou envoyé mourir à Saint-Domingue les légions polonaises, la France était la première à reprendre en main cette cause de la restauration d’une indépendance. Avec les provinces qu’elle enlevait à la Prusse, elle créait un duché de Varsovie en 1807 ; elle agrandissait ce duché d’une partie de la Galicie en 1809, après la guerre d’Autriche, et le mouvement des choses la conduisait en 1812 à laisser proclamer sous ses auspices la reconstitution de la Pologne de 1772. Chaque guerre nouvelle élargissait en quelque sorte le cadre de cette nationalité renaissante, qui finissait par retrouver son vrai nom après s’être cachée sous le nom d’une ville et s’être vue un moment confondue dans les états du roi de Saxe.

Au fond cependant, il faut le dire, la politique de Napoléon, même en consacrant ces résultats, était toujours singulièrement énigmatique et peu préoccupée de faire revivre une indépendance. Elle voulait et elle ne voulait pas ; elle appelait les Polonais à l’insurrection, et elle laissait tomber sur leur enthousiasme des bulletins qui leur disaient avec une obscurité solennelle : « Le trône de Pologne se rétablira-t-il ? Cette grande nation reprendra-t-elle son existence et son indépendance ?… Dieu seul, qui tient dans ses mains les combinaisons de tous les événemens, est l’arbitre de ce grand problème politique… » La vérité est que pour Napoléon la Pologne était un champ de bataille, une terre féconde en vaillans soldats, un territoire servant à ses combinaisons encore plus qu’une nation à faire revivre. Il était toujours plein de ménagemens, tantôt pour la Russie, tantôt pour l’Autriche, sacrifiant à l’une quelques districts, garantissant à l’autre ses possessions, et à chaque proclamation qui enflammait l’esprit national répondait tout un travail de négociations clandestines destiné à diminuer le caractère national de cette résurrection qui allait se concentrer dans un état précaire et factice trop grand pour un duché, trop petit pour un royaume. Si Napoléon n’eût cédé au caprice violent de ses conceptions gigantesques et de ses distributions arbitraires de territoires, s’il eût saisi nettement et distinctement cette question qui se levait devant lui, il aurait vu que, puisqu’il mettait la main à l’œuvre, il devait