Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 45.djvu/281

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cet insaisissable empereur flottait toujours entre ses velléités et l’esprit russe, qui ne pouvait s’accoutumer à l’idée d’abandonner les provinces polonaises, fût-ce pour en former un royaume sous le sceptre du tsar. Par une inconséquence bizarre, au moment où il se croyait appelé à être le promoteur de la renaissance de la Pologne, comme il le disait, où il voulait flatter et attirer l’esprit national de ce pays, il se prêtait à des morcellemens nouveaux, il acceptait de Napoléon le district de Bialystok en 1807 à Tilsitt, un district de la Galicie en 1809, et il laissait passer dans une proclamation ces paroles, qui devaient retentir douloureusement dans tout cœur polonais, qui étaient comme l’expression de la crainte qu’on avait de voir la Pologne renaître sous une autre main : « Les provinces polonaises, au lieu d’être réunies de nouveau, restent à jamais partagées entre trois puissances. La Russie acquiert une partie considérable de ces provinces … Toutes les chimères des provinces polonaises détachées de notre empire disparaissent ; l’ordre de choses actuel leur met des bornes pour l’avenir… » Alexandre parlait ainsi dans ses manifestes, sauf à dire en secret que cela ne signifiait rien. Il gardait en effet sa pensée, il la cachait soigneusement, se laissant aller parfois dans ses actes à une politique absolument contraire. Pour lui comme pour Napoléon, c’était une arme qu’il tenait en réserve pour les heures difficiles, et à la puissance de laquelle il croyait.

Placé entre tous ces événemens et retiré de la vie publique, le prince Adam se trouvait dans une situation singulière : d’un côté, sans avoir, comme beaucoup de Polonais, une foi complète en Napoléon, il ne se séparait pas de ses compatriotes dans les espérances que leur inspirait le duché de Varsovie ; il y voyait tout au moins un germe, un premier pas ; d’un autre côté, il avait gardé avec Alexandre des rapports devenus, il est vrai, de plus en plus rares, affectueux encore, quoiqu’un peu embarrassés. Il n’était pas entièrement et officiellement affranchi du service en Russie : il s’était contenté d’un congé périodiquement renouvelé ; mais déjà il demandait à l’empereur de lui rendre sa complète liberté. Ami du souverain, il voulait retrouver sa pleine indépendance comme Polonais. Alexandre éludait, appelait encore de temps à autre le prince Adam, et reprenait avec lui une de ces conversations intimes où il se plaisait autrefois ; il revenait à ses projets, et il y revenait avec d’autant plus d’insistance que l’inquiétude croissait en lui. À mesure que les événemens grandissaient en effet et que les guerres se succédaient, Alexandre sentait qu’après la Prusse et l’Autriche c’était son tour qui allait venir, qu’il allait être réduit à se soumettre ou à se résoudre à une lutte directe avec Napoléon. Il se voyait cerné de tous