Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 45.djvu/319

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pratique et contemporaine, M. Magnin, malgré la richesse croissante de sa littérature et l’agrément varié de sa forme, avait perdu en vieillissant quelque chose de la fermeté et de la vigueur qu’il avait montrées au temps du Globe ; il n’allait plus si directement au fait. Ses dualités civiles elles-mêmes, sa circonspection, sa politesse lui nuisaient. Évidemment il n’aimait plus la guerre, il craignait les coups, il évitait de se commettre. L’audace militante chez lui, comme chez la plupart, s’en était allée avec le feu de la jeunesse.

C’est l’érudit surtout qui gagnait en lui. J’y reviens avec plaisir, et j’insiste désormais sur cet ordre de services par lesquels il survivra aux souvenirs de sa génération et laissera un nom dans la science. En y mettant un peu plus de célérité, il aurait pu être l’historien littéraire de notre ancien théâtre : il ne fut que le préparateur du futur historien, mais ce préparateur était excellent. Nul plus que M. Magnin ne s’est appliqué à l’éclaircissement de cette question délicate : comment le théâtre ancien a-t-il fini ? comment a commencé et a repris le théâtre moderne ? y a-t-il eu interruption totale ? peut-on saisir et soupçonner quelque continuité obscure dans les plus bas genres ? quels sont les premiers indices, les premiers témoignages d’une résurrection originale ou d’une reprise ingénieuse ? Le Théâtre de Hrotsvitha, religieuse allemande du Xe siècle, qu’il traduisit et commenta (1845), lui fournit un texte précieux pour grouper alentour ses observations et ses conjectures. Je suis, malgré tout, fort tenté de croire, avec M. Édelestand du Mérîl, que M. Magnin accorde à ces essais de la religieuse de Gandersheim plus d’importance qu’ils n’en eurent réellement dans l’histoire du théâtre : ces six légendes, que la docte femme mit de son mieux en beau latin de Térence, n’étaient probablement dans la pensée du pieux auteur qu’une imitation toute littéraire, une étude classique sans aucune idée de représentation. Le drame moderne n’a guère rien à faire là dedans. En général, M. Magnin ne sentait pas assez dans chaque branche les différences tranchées, les points de départ et les fins : ce qui lui manquait, c’était le coup d’archet, ou de le donner lui-même ou de le distinguer chez d’autres ; il était porté à voir dans les choses plus de continuité et de suite qu’elles n’en ont. Ce sont là, au reste, des questions particulières à débattre entre érudits, et de quelque côté que l’on penche, il y a lieu à toute estime. On contredit M. Magnin sur un point, on profite de lui sur tous les autres.

Pour apprécier la finesse et l’utilité de ses travaux en ce genre, il faut avoir lu, il faut avoir eu besoin de lire (quand on a été professeur et obligé soi-même de traiter les mêmes sujets) la série de