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qui ont quitté ce monde. Où pouvait-elle être mieux écoutée qu’en pareil lieu et dans un pareil moment ? « Je laissai tomber les rênes et priai de tout cœur, » continue l’écrivain avec une bonhomie vraiment italienne que ne lui ont pas enlevée dix ans de séjour en plein pays hérétique. Et pourtant personne de moins papiste que lui ; mais il est Lombard, c’est-à-dire d’un pays où le clergé catholique n’a jamais plié qu’en frémissant sous le joug étranger, d’un pays où vivent les traditions d’Arnauld de Brescia, et où plus d’un prêtre a déjà payé de sa vie la réputation de patriotisme qu’il s’était faite[1]. Que penser des propos hautement tenus à cette époque parmi les compagnons de Garibaldi sur les démarches tentées par de fort grands personnages pour se concilier leur vaillant capitaine ? Les détails sont précis, l’intermédiaire désigné de la manière la moins équivoque. C’était un Corse, nous dit le comte Arrivabene, c’était un ancien compagnon d’armes du général à Montevideo. Le but de sa mission plus ou moins officielle était d’insister sur les griefs que le commandant des chasseurs des Alpes pouvait élever contre l’administration piémontaise. Ils se plaignaient d’être mal approvisionnés, mal armés ; on leur avait promis de leur adjoindre les chasseurs des Apennins, dont l’organisation, — retardée à dessein, prétendaient-ils, — s’achevait péniblement sous les murs d’Alexandrie. L’envoyé corse proposait de faire droit à toutes ces réclamations. Les vivres, les munitions, les armes arriveraient en abondance, l’adjonction désirée se ferait sans retard. On parlait encore de distinctions honorifiques, et l’étoile des braves décorerait la poitrine de l’ancien défenseur de Rome… Si de telles tentatives ont été faites, ce que nous sommes loin d’affirmer, il est infiniment probable, pour ne rien dire de plus, quelles ont dû être accueillies sans beaucoup d’enthousiasme, et l’issue d’une pareille négociation était trop clairement indiquée d’avance pour qu’on ait dû s’y engager à la légère : de là nos doutes, que ne saurait dissiper l’origine de ces bruits, enregistrés par M. Arrivabene comme de simples échos de bivac. Il est un autre incident de ces premières courses en Lombardie sur lequel M. Arrivabene donne son témoignage personnel, et qu’il faut reproduire textuellement.


« … Un jour, vers la fin de juin, j’allai faire un tour à Brescia. En arrivant à l’albergo della Portan je vis deux gentlemen qui prenaient à la même table leur repas du matin. L’un d’eux me parut ressembler merveilleusement à Kossuth ; mais, comme je supposais cet éminent représentant de l’émigration hongroise encore à Londres, je ne m’arrêtai pas un instant

  1. Nommons seulement Grioli, Tazzoni et Benedini, tous les trois pendus en 1853 à Mantoue, sous le proconsulat du maréchal Radetzky.