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allié que, si les préliminaires portés à Vérone par le prince Napoléon (muni de pleins pouvoirs diplomatiques) venaient à être acceptés par François-Joseph, la paix se trouverait conclue. Le monarque piémontais accueillit cette ouverture avec une froide réserve : « Quelle que soit, dit-il, la décision de votre majesté, je conserverai une reconnaissance éternelle de ce que vous avez fait pour l’indépendance italienne, et je vous prie de compter en toute circonstance sur mon inaltérable fidélité. »


«… Mais, poursuit M. Arrivabene, il existait un homme qui n’était pas disposé à laisser passer la transaction de Villafranca sans une énergique et méprisante protestation. Lorsque le comte Cavour fut informé qu’un armistice venait d’être conclu, il crut d’abord à une simple suspension d’armes, un court répit étant nécessaire aux deux camps. Ce fut par hasard qu’il eut connaissance, dans la matinée du 10, de l’entrevue arrangée pour le lendemain entre les deux empereurs. On raconte qu’un courrier français qui, expédié à Paris, traversait Turin, rencontrant à la station du chemin de fer un de ses confrères piémontais, lui donna cette importante nouvelle. Sans y croire encore, tant elle lui semblait improbable, le premier ministre partit précipitamment avec M. Nigra pour Monzambano. Par suite de dévastations militaires encore récentes, le chemin de fer n’allait pas au-delà de Desenzano. Arrivés dans ce village, vers quatre heures du matin, les deux voyageurs ne purent, à aucun prix, s’y procurer une chaise de poste, et pendant que le valet de chambre de Cavour courait de côté et d’autre pour en chercher une, on assure que le ministre et son secrétaire intime entrèrent, sans qu’on prit garde à eux, dans un café où une conversation très animée, qui s’y tenait en ce moment, dissipa leurs dernières incertitudes. On savait parfaitement à Desenzano que Louis-Napoléon devait le lendemain aller trouver le Kaiser à Villafrança. Chacun à l’envi lui jetait la pierre. Les accusations, les malédictions se succédaient sans relâché, et un républicain, brochant sur le tout, faisait remarquer que ce triste dénoûment de la guerre avait été prédit quelques semaines auparavant dans le journal de Mazzini (Pensiero ed Azione)… On peut s’imaginer avec quel ébahissement douloureux le grand homme d’état italien assistait à ces grossiers et bruyans débats, où il voyait se produire d’avance l’effet de cette paix déplorable sur l’esprit de ses compatriotes.

« Son domestique revint enfin avec une méchante timonella qu’il avait réussi à se faire confier. Au moment où Cavour entrait dans cet humble véhicule, un officier piémontais, qui flânait sous les arcades de la piazza, vint à le reconnaître et prononça son nom à voix haute. Pour se soustraire à des questions inutiles et contrariantes, M. Nigra ordonna au vetturino de pousser le plus vite possible du côté de Monzambano. Cet homme cependant avait entendu l’exclamation de l’officier piémontais, et semblait plus surpris encore que flatté de l’honneur que le hasard lui procurait ainsi. Pris de quelques doutes, il commença par demander aux deux voyageurs si l’un d’eux était bien réellement « le grand Cavour. » Le comte et son secrétaire avaient bien autre chose en tête que de satisfaire l’indiscrète