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à le contrôler. Avons-nous réussi à mettre en lumière, comme nous le désirions, les contradictions, les anomalies, les vacillations qui ont amené ce résultat étrange ? Avons-nous bien fait comprendre, par les détails où nous avons cru pouvoir entrer, ce qu’elles avaient de blessant et d’inopportun ? S’explique-t-on le désappointement de ce peuple naïf qui, après nous avoir salués en libérateurs, nous voit contraires à ses aspirations naturelles vers la liberté, qui est obligé d’achever sans nous, et en apparence malgré nous, l’œuvre commencée avec nous et à laquelle il s’était cru appelé par nous ? Saisit-on le lien naturel qui s’est formé, qui se resserre tous les jours entre l’Angleterre protestante et l’Italie hostile au pouvoir temporel des papes, et cela malgré les restrictions de la diplomatie anglaise au sujet des droits de l’Autriche sur Venise[1], restrictions moins blessantes dans leur loyauté hautaine que ne l’ont été nos réticences imprévues et nos fluctuations mystérieuses ?

À l’heure qu’il est, ce que donnent à prévoir les récits de M. Arrivabene ne se réaliserait-il pas ? La situation respective des trois puissances ne se dessinerait-elle point ainsi ? L’Italie compte sur l’Angleterre pour fléchir à la longue les incompréhensibles résistances que la France oppose à son développement. L’Angleterre semble promettre Rome à l’Italie et lui refuser Venise. La France maintient le présent et réserve l’avenir, sans se soucier des mécontentemens qu’elle laisse s’envenimer et des préjugés hostiles qui s’enracinent dans le pays qu’elle a tant fait pour se concilier. Dans un conflit européen, s’il en éclatait un, l’Angleterre trouverait donc l’Autriche sans griefs et l’Italie profondément sympathique. La France aurait, pour faire face aux ressentimens de l’Autriche et de quelques souverains allemands, l’Italie désaffectionnée et l’Angleterre jalouse de nos agrandissemens territoriaux. L’Italie enfin, si elle obéissait à ses tendances plutôt qu’à ses véritables intérêts, demanderait à l’Angleterre de maintenir la paix entre elle et l’Autriche, dût-elle, pour se concilier l’une et l’autre de ces puissances, oublier les services passés, et payer d’une neutralité coupable l’affermissement des conquêtes qu’elle nous doit. Est-ce bien là le but auquel tendait la campagne de 1859 ? Le livre de l’observateur pénétrant que nous avons pris pour guide nous conduit à cette question, qu’il suffit de poser, et que nous n’avons point à débattre.


E.-D. FORGUES.

  1. Dépêche de lord John Russell à sir James Hudson, du 31 août 1860.