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en Pologne. Une chose est certaine, c’est que, malgré les forces régulières dont elles peut disposer et malgré les cruautés d’une répression sans merci, la Russie n’obtient en Pologne aucun résultat décisif. La résistance des Polonais durera-t-elle assez pour que la diplomatie ait le temps de terminer ses lentes évolutions et de la rejoindre ? Il faut le souhaiter pour l’honneur de la diplomatie elle-même, et il n’est pas interdit de l’espérer. Ce serait une grande honte pour la diplomatie européenne, si, après avoir donné des témoignages non équivoques de sympathie à la nation polonaise, elle était tout à coup interrompue dans ses représentations à la Russie et dans le travail de ses combinaisons par la défaite de l’insurrection polonaise et le rétablissement de la domination impitoyable de la Russie sur la Pologne. Quoi qu’il en soit, la première phase diplomatique de la question polonaise est terminée. Le cabinet de Saint-Pétersbourg a répondu aux premières et assez vagues ouvertures des puissances. La cour de Russie ne refuse point de s’entretenir avec les cabinets européens de la question polonaise, et demeure disposée à écouter leurs observations. Les notes du prince Gortchakof qui ont été publiées sont d’une rédaction habile. La modération en est incontestable ; mais nous en trouvons l’argumentation peu forte. Le prince Gortchakof ne veut expliquer les troubles de la Pologne que par les conspirations de la révolution, et encore de la révolution cosmopolite. Il faut qu’un homme de l’esprit du prince Gortchakof soit aux abois pour recourir dans une question de fait aussi flagrante que celle-là à la fantasmagorie de la révolution. Il faut laisser ce ridicule épouvantail à l’usage des radoteurs et des codini, et craindre d’avoir recours à un expédient aussi puéril quand on a quelque talent et quelque amour-propre politique. D’ailleurs il faut prendre garde à qui l’on s’adresse quand on pérore contre la révolution et se bien rappeler que ce mot a plus d’un sens. Pour les deux principaux gouvernemens auxquels s’adressait le prince Gortchakof, ce mot a surtout une signification de patriotisme et de gloire. La France et l’Angleterre doivent à leurs révolutions les principes politiques et les institutions qui leur inspirent le plus d’attachement et d’orgueil. Ces deux pays n’ont pu faire prévaloir dans leurs institutions politiques ou sociales les principes de la justice qu’au moyen de la révolution. On est donc mal venu à nous parler, à nous Anglais ou Français, de la révolution comme d’une sorte de génie du mal qui mérite toutes les injures et toutes les sévérités. Héritiers de révolutions justes et glorieuses, nous sommes cependant les premiers à reconnaître que la révolution est condamnable quand elle couvre simplement l’emploi de la violence contre le droit, contre la loi, contre la justice ; mais à ce compte ce sont souvent les gouvernemens qui n’ont à la bouche que des anathèmes contre l’esprit révolutionnaire qui commettent les actes révolutionnaires les plus révoltans et les plus dignes de réprobation. La Russie a été précisément révolutionnaire de cette façon dans ses rapports avec la Pologne. Chacun des partages de la Pologne a été un acte révolutionnaire au premier chef dans le pire sens