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sort du Théâtre-Italien sous la nouvelle direction de M. Bagier ? Ce directeur, qu’on dit habile et très zélé, a-t-il un plan, des vues arrêtées pour relever dans l’opinion publique une institution de luxe, mais d’un luxe aussi nécessaire au maintien du goût et au développement de la musique vocale que l’est la galerie du Louvre pour les arts plastiques ? Qu’on n’oublie pas que l’opéra italien a donné le jour à l’opéra français, et que l’alliance des deux écoles est aussi antique et aussi féconde en bons résultats que l’alliance naturelle des deux nations latines.

Veut-on un nouvel exemple de la nécessité où sont les théâtres lyriques de vivre de leur ancien répertoire ? Voyez l’Opéra-Comique. Pour réparer les désastres de ses nouvelles pièces, il a cru devoir reprendre un petit ouvrage assez faible de M. Victor Massé, la Chanteuse voilée, et puis, ce qui vaut infiniment mieux, il a remis en scène un chef-d’œuvre de M. Auber, Haydée, dont la musique charmante n’a rien perdu de sa facilité et de sa fraîcheur printanière ; cela remonte pourtant à l’année 1847, et ce fut M. Roger qui créa, comme on dit, le rôle important et difficile de Lorédan. La pièce est l’une des plus intéressantes et des plus fausses qu’ait écrites Scribe. Ce fécond esprit a souvent trahi l’histoire, tout aussi bien que le père Loriquet ; mais il était plus amusant, et il a connu l’art si difficile de trouver des situations musicales. Il y a dans Haydée plusieurs scènes remarquables, surtout celle qui termine le premier acte, le rêve de Lorédan. La partition d’Haydée est l’une des meilleures et des plus complètes de M. Auber. C’est tout au plus si le Domino noir peut lui être préféré. Il y a dans Haydée cinq ou six morceaux du style le plus ferme et le plus coloré : la barcarolle à deux voix du premier acte avec l’accompagnement du chœur à bouche fermée, effet curieux qui a été beaucoup imité depuis ; le duo de Lorédan et de Malipieri au second acte, celui de Lorédan et d’Haydée au troisième ; les couplets devenus si populaires : — A Venise, sachez vous taire, — et surtout la facilité et l’élégance constante du discours musical, qui jamais ne s’interrompt. L’exécution de ce bel ouvrage n’est pas tout ce que l’on pourrait désirer. M. Achard, qui est un chanteur de talent, s’est tiré heureusement des difficultés que renferme le rôle important de Lorédan, mais Mlle Baretti, avec sa petite voix tremblotante et aigre, est plus qu’insuffisante pour rendre la grâce et le charme de la belle Haydée ; M. Troy est bien dans le personnage de Malipieri. La reprise d’Haydée consolera le théâtre de l’Opéra-Comique des mécomptes qu’il a éprouvés avec les compositeurs pleins d’espérance et d’avenir.

L’Opéra est pour le moment le plus heureux des théâtres. Tout lui réussit sous la main habile de M. Emile Perrin, qui, dans le court espace de six mois, a déjà su communiquer à ce grand corps un certain air de jeunesse qui fait illusion. Le succès éclatant de la reprise de la Muette, les belles et fructueuses représentations de Guillaume Tell avec le nouveau ténor Villaret, lui ont donné le temps de respirer à l’aise et de préparer peut-être