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contre les assauts qui l’attendent dans le monde. Une instruction assez futile, quelques leçons d’agrément, la danse, le clavecin, la harpe, un peu de chant, c’est tout. Les bruits du monde qui entrent de toutes parts irritent les curiosités non satisfaites de la vie du cloître. Le couvent n’est pas seulement une maison d’éducation, c’est un lieu d’asile pour tous les blessés de la vie. Mme de Choiseul s’y retire pour acquitter les dettes de son mari, Mme de Créqui pour y refaire la fortune de ses enfans, Mme Du Deffand et Mme Doublet viennent y chercher la vie à bon marché. Les femmes séparées de leurs maris s’y réfugient ; on y enferme les maîtresses des princes qui vont se marier. Tout ce monde ne vivait sans doute pas habituellement avec les pensionnaires ; cependant les rapports avec l’extérieur étaient fréquens. À seize ou dix-huit ans, la jeune fille sortait du couvent pour se marier. À l’ordinaire, tout était convenu depuis longtemps entre les deux familles ; son goût n’était presque jamais consulté, et on ne lui demandait son consentement que pour la forme. Elle avait hâte d’entrer dans ce monde dont elle avait de sa cellule entendu tout le bruit. « Je me mariai, dit Mme d’Houdetot, pour aller dans le monde et voir le bal, la promenade, l’opéra et la comédie. »

C’est ainsi préparée que la jeune fille entrait dans le tourbillon. Sans amour pour un mari qui n’en avait point pour elle, n’ayant pour se garder aucune de ces convictions, pour ainsi dire provisoires, que donne une éducation sérieuse, et qui tiennent lieu de conscience et de raison jusqu’au moment où l’âme, se possédant, trouve en elle-même la force de sentir justement et de résister, elle se voyait livrée sans défense aux influences malsaines d’une société dépravée. Ce serait miracle qu’elle eût échappé à la contagion de ce cynisme élégant, de cet épicurisme raffiné. Dans la frénésie de destruction qui, en emportant toutes les vieilles croyances, avait également atteint le vrai et le faux, le respect du mariage n’avait pas été plus épargné que le reste, et le mépris des liens conjugaux était regardé par beaucoup comme une marque d’affranchissement et une preuve de goût. Toutefois dans les bonnes, mais trop brèves pages que MM.  de Goncourt ont consacrées à la bourgeoisie, on entrevoit que les classes moyennes avaient conservé dans ce temps, plus peut-être qu’elles ne le firent dans aucun autre, la régularité de la vie, l’honnêteté, la décence, le culte des devoirs sérieux et sévères de la famille, les vertus modestes qui ne se rencontrent que rarement et à l’état d’exceptions dans la société. C’est là qu’étaient la sève pure et l’honneur. C’est dans les rues obscures de l’ancien Paris, dans ce peuple occupé de négoce et d’industrie, que naissait, que s’élevait la race puissante qui se trouva mûre en 89 pour les plus grands projets. Des exemples d’unions assorties, de bonheur domestique, se rencontrent d’ailleurs plus fréquemment qu’on ne le croirait dans la haute société. On cite à bon droit les Beauveau, les Vergennes, les Chauvelin, les Necker, Mme de Choiseul, dont l’affection tendre, patiente, inébranlable, ne se ralentit pas un seul instant ; Mme de Maurepas, qui s’écriait à la mort de