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de son infériorité la porte à fuir l’étranger et à se cacher devant lui. Dans la vieillesse, les rides qui sillonnent en tous sens sa peau tannée, noircie, couturée par l’âge, les coups, le soleil, les fatigues, lui donnent l’aspect d’une vieille tête d’orang-outang, hideuse et grimaçante sous une longue perruque noire.

Tels sont les aborigènes du Brésil. Sera-ce nous élever vers la civilisation ou nous en éloigner que de passer des sauvages aux noirs ? On va en juger.



II

Rien de plus simple, ce semble, que de tracer la physionomie du nègre ; rien de plus complexe pourtant, si, en dehors de toute idée préconçue, on tient à être vrai.

Après de longues chevauchées, je venais d’arriver dans une fazenda où je reposais tranquillement, lorsque vers trois heures du matin je crus entendre un clairon sonnant la diane. — Ce n’est rien, senhor, me dit mon guide, qui couchait dans ma chambre, c’est le feitor qui appelle les nègres pour les conduire aux champs. Ce, son guerrier annonçait en effet à l’esclave que le sommeil était fini, et que son labeur allait recommencer. Du reste, il n’est pas donné à tous les noirs de s’éveiller au bruit du clairon. Le plus souvent je n’ai entendu qu’un méchant tambour que je ne puis comparer qu’à la caisse avec laquelle les montreurs d’ours courent les foires dans les montagnes des Alpes et des Pyrénées. J’avais refermé les yeux, lorsqu’une explosion soudaine de voix humaines vint m’éveiller de nouveau.

— Ne vous effrayez pas, senhor, reprit mon guide, ce sont les nègres qui, avant de partir pour les champs, viennent demander la benção (la bénédiction). — La benção joue un grand rôle dans la vie du noir. C’est le salut invariable par lequel il vous aborde. Pour formuler une benção suivant les règles, l’esclave doit ôter son bonnet de laine de la main gauche et allonger la droite dans la posture la plus humble. Beaucoup d’entre eux y ajoutent une légère flexion des genoux. Cette attitude rappelle tellement celle du mendiant, que dans les premiers temps de mon arrivée je portais instinctivement la main à la poche de mon gilet. Comme pour se venger de cette vexation du blanc, le noir exige la benção des négrillons, et ceux-ci, de leur côté, se la font demander par les macacos (singes), qu’ils dressent à cet effet.

Je me rendormis de nouveau. Une heure après, je fus encore éveillé par un vacarme effrayant : on eût dit une meute de tigres et de chats sauvages se déchirant avec des miaulemens affreux. Le bruit se rapprochait sensiblement. Cette fois, je me précipitai vers