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la corde. Le quadrupède, se sentant le cou saisi, regimbe d’abord en s’enfuyant de toute sa vitesse, mais, après quelques soubresauts, il s’arrête suffoqué par le lien. Le dompteur s’approche, lui passe une bride, l’enfourche, et, après l’avoir dégagé du laço, commence son éducation. Les premières leçons sont des plus laborieuses : l’animal se cabre, se renverse, cherchant à se débarrasser à la fois de l’écuyer, du mors et de l’éperon : peines perdues, la victoire reste à l’homme. Ce dur métier, condamnant les muscles à une forte tension et à des efforts continuels, use le péon avant l’âge, et, quelle que soit l’habileté de ces centaures, ils n’échappent pas toujours aux dangers inséparables de leur rude carrière. Un jour, j’aperçus un cheval fuyant à toute bride, tandis que le cavalier, retenu par le laço, tournoyait sur lui-même derrière sa monture, sans pouvoir s’accrocher au sol des pieds ni des mains. Confiant dans sa force et son adresse, il avait eu l’imprudence de fixer le laço à sa ceinture, et, ayant perdu l’équilibre, il suivait à travers l’espace les soubresauts de sa bête. Heureusement, celle-ci s’étant réfugiée dans le rancho voisin, il en fut quitte pour quelques écorchures.

Le mulâtre a pour père un Européen et pour mère une fille d’Afrique. Celle-ci n’étant guère transplantée que dans les exploitations agricoles ou dans les centres de commerce, c’est-à-dire près de la côte ou d’un fleuve, il en résulte que le mulâtre est plutôt un produit des villes et des fermes du littoral que de l’intérieur. Ordinairement libre, on l’applique à toutes les fonctions qu’on suppose trop pénibles pour l’indolence de l’Indien, trop élevées pour l’intelligence atrophiée du nègre esclave, et trop serviles pour la dignité du blanc, Il devient donc, suivant ses aptitudes et suivant le besoin, charpentier, forgeron, tailleur, maçon, bouvier, soldat, etc. S’il descend d’un homme riche et qu’il ait reçu de l’éducation, il entre dans le commerce, dans le clergé, dans le corps médical, dans la magistrature, et siège même au congrès. Il perd alors sa physionomie propre, et vous ne voyez plus en lui qu’un gentleman plus ou moins irréprochable, car, il ne faut pas se le dissimuler, il y a toujours une forte dose d’astuce dans ces natures mélangées.

Comme son voisin le mameluco, le mulâtre abandonné à lui-même se sent une vocation irrésistible pour les mules et les chevaux. C’est lui qui tient les vendas du chemin, qui sert de guide dans les voyages, que l’on rencontre dans tous les métiers interlopes. Dans les plantations, il devient garde-chiourme des nègres, dresseur de mules ou arréador. On appelle ainsi le chef de la caravane qui porte périodiquement les produits de l’intérieur, coton, sucre, café, à travers les montagnes jusqu’au port le plus voisin. Je ne puis mieux faire, pour en donner une idée exacte, que de laisser