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Quelques, jours après, je revis encore Marina, et ce fut la dernière fois. Voici dans quelles circonstances nous la rencontrâmes, et nous eûmes alors l’occasion de causer assez longtemps avec elle. Une après-midi, nous étions allés visiter de nouveau les musées du Vatican. Nous traversions la première galerie, qui sert de vestibule aux autres, et où l’on a placé les débris des tombeaux chrétiens et païens et de nombreuses inscriptions, quand dans la profonde embrasure d’une des fenêtres nous aperçûmes Marina tout occupée à déchiffrer quelques lignes tracées au crayon sur le mur.

— Voyez, nous dit-elle, pouvez-vous lire ces vers ? Il y a d’abord du latin que je ne comprends pas, puis dans l’italien même plusieurs mots qui m’échappent.

Avec quelque attention, nous parvînmes à lire huit vers précédés d’une épigraphe empruntée à Horace. Je les ai copiés dans mon carnet de voyage ; les voici :

Debemur morti nos nostraque.
Il passato non è, ma se lo pinge
La pura rimembranza.
Il futuro non è, ma se lo finge
La credula speranza.
Il présente solo è, ma fuge sempro
Nullo nel senno.
Cosi la vita è memoria, speranza
E un punto[1]

Sans doute ces huit lignes rimées, crayonnées sur le mur, n’avaient rien de très remarquable : elles ne faisaient que répéter, à propos du néant de la vie, une pensée mille fois redite sous mille formes diverses ; mais, épelés là, sur les parois du Vatican, au milieu des débris de toutes ces tombes, depuis les âges inconnus de l’Étrurie jusqu’au temps des catacombes, parmi ces reliques de tant de siècles et ces inscriptions consacrées à la mort de tant d’êtres si vivement regrettés un jour et perdus ensuite pour jamais dans l’éternité, ces vers, assez médiocres, prirent une force qui nous pénétra. Nul n’échappe à l’influence des lieux, et quelques mots déchiffrés sur les ruines du Capitole ou sur les pierres des pyramides agiront quelquefois plus sur l’imagination qu’une strophe magnifique lue dans l’œuvre imprimée d’un grand poète.

— Celui qui a écrit ces vers a raison, dit Marina. Je ne suis qu’une pauvre ignorante, et pourtant j’ai eu souvent la même pensée.

  1. « Le passé n’est pas, mais la mémoire s’en retrace une vague image. L’avenir n’est pas, mais la crédule espérance se le figure. Le présent seul existe, mais il fuit toujours, insaisissable pour l’esprit. Ainsi entre le souvenir et l’espérance la vie n’est qu’un point. »
    Retourné depuis à Rome, je n’ai plus retrouvé ces vers italiens. Les murs de la galerie du Vatican avaient été blanchis.