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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 45.djvu/692

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— Vous avez donc été élevée à Naples ? lui dis-je, dans l’espoir d’avoir quelques détails sur sa vie passée.

— Oui, répondit-elle, mon enfance et ma première jeunesse se sont écoulées au bord du golfe, au-delà du Pausilippe, dans une villa appartenant à un riche seigneur qu’on m’a dit depuis être mon père, mais qui ne m’avouait pas pour sa fille. À sa mort, survenue subitement, ses parens se mirent en possession de ses biens, et je me trouvai dénuée de toute ressource. Une des domestiques de la maison qui m’avait soignée eut pitié de ma situation, et m’envoya à Rome, chez sa sœur, qui offrait de m’occuper dans son atelier de couture ; mais je n’étais bonne à rien : on se lassa de moi, je le compris, et comme j’aimais avec passion les beaux tableaux et surtout les belles statues, je fus entraînée à faire de l’art,… à ma manière, ajouta-t-elle en souriant tristement.

Mais comment ce goût si prononcé pour les œuvres d’art s’était-il développé chez elle à ce point, voilà ce que nous désirions savoir. Elle ne refusa pas de nous répondre, et elle le fit en quelques mots colorés et pleins d’une sorte de poésie à la fois populaire et emphatique dont je ne puis rendre que le sens, non la forme originale.

— Mon père, dit-elle, ne s’occupait guère de moi. J’ai vécu seule. On ne m’a fait apprendre que peu de chose, et même ce peu ne m’agréait pas. De bonne heure j’ai aimé à contempler les bois, les campagnes et la mer. Quand je parlai plus tard de mes impressions, je n’étais point comprise. Autour de moi, par exemple, on ne regardait les orangers et les figuiers que pour voir si leurs fruits étaient mûrs et bons à manger. Moi, j’aimais les orangers pour leurs pommes d’or et leur beau feuillage métallique, et les figuiers, parce que j’admirais leurs fruits de pourpre ombragés par leurs feuilles élégamment découpées. Mes plus vifs, mes meilleurs souvenirs, me reportent vers certaines journées passées à contempler les teintes éclatantes des eaux dans le golfe, les splendeurs du soleil à son coucher, embrasant de ses feux les pentes du Vésuve et du Sant’Angelo, tout Naples en amphithéâtre, et les chênes verts de Chiaia avec leurs grandes ombres bleuâtres. Ces aspects me charmaient sans me lasser jamais, et l’examen paisible d’une fleur ou d’un insecte me remplissait d’admiration et de joie. Je me rappelle ainsi, entre autres, une matinée passée tout entière aux bords de la mer, sous les yeuses qui formaient d’épais bosquets depuis la villa jusqu’au rivage. Je m’amusais, avec mes pieds nus trempant dans l’eau, à remuer les petits cailloux et les coquillages aux milles couleurs qui formaient le fond, et à faire et refaire ainsi de bizarres mosaïques que le flot limpide et peu profond argentait d’un vif rayon toujours mobile. On entendait dans les châtaigniers les rauques gémissemens