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ESSAIS
DE
MORALE ET DE LITTERATURE

I.
LA FIANCEE DU ROI DE GARBE ET LE DECAMERON.

Il y a quelques mois, comme je parcourais le Décaméron de Boccace, en quête de renseignemens sur la filiation et les métamorphoses de certains sujets romanesques, je me trouvai subitement pris et comme fasciné par la singulière beauté de l’histoire d’Alaciel, la fiancée du roi de Garbe. Les nouvelles que je venais de lire formaient sans doute de bien jolis groupes et de bien aimables contrastes. Les unes n’étaient que grâce, les autres n’étaient que tendresse ; celles-ci brillaient par une verve spirituelle, une mutinerie de sentiment, une pétulance érotique, franches de tout péché de mièvrerie et de toute hypocrisie langoureuse ; celles-là, animées par une passion et une véhémence italiennes, étaient chaudement sensuelles, libres de toute vanité, voluptueuses avec sérieux, avec gravité et presque avec austérité ; d’autres enfin se recommandaient par un charme romanesque d’un caractère touchant qui aurait presque réconcilié l’imagination avec le faux et l’artificiel, tant le génie du conteur avait sauvé avec habileté les invraisemblances des situations et les mensonges des sentimens. L’histoire d’Alaciel cependant les effaçait toutes par l’éclat de son coloris, la vigueur de sa