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régent se prononça pour une alliance intime avec l’Amérique, et ne recula point devant les conséquences qu’elle pouvait amener. Il n’eût d’abord qu’une minorité assez faible ; mais l’attitude exaltée de ses adversaires gagna chaque jour, des partisans à son opinion. Le prince de Mito, qui parlait sous l’influence de sa haine contre le régent, s’abandonna aux plus violens transports, jurant qu’il chasserait les barbares du sol sacré de l’empire, et qu’il préférait une mort glorieuse à la honte de se soumettre aux étrangers. Les Japonais sont en général fort sensés, et les déclamations ont peu de prise sur leur esprit. On se contenta de répondre au prince qu’il ne s’agissait pas de se soumettre ou de mourir, mais de conclure un traité qui placerait le Japon sur un pied d’égalité parfaite avec les premières nations de l’Occident. Le régent s’exprima avec calme et sagesse ; il fit comprendre la puissance extraordinaire de ces nations de l’Occident ; il parla de leurs bateaux à vapeur, qui les rendaient pour ainsi dire maîtresses du temps et de la distance ; il raconta ce qu’il savait de la portée redoutable des armes à feu européennes ; il rappela la victoire facile et complète que la France et l’Angleterre venaient de remporter sur la Chine. D’après les affirmations des Hollandais de Décima et des Américains de Simoda, il devenait impossible, dit-il, de révoquer en doute le projet des Anglais et des Français de pénétrer au Japon, et il était à craindre de leur voir arracher par la force les concessions qu’ils se croyaient en droit d’exiger. La conscience occidentale était autre que la conscience orientale, et l’on ne pouvait juger de ce que les étrangers se croyaient permis. Après avoir vanté la puissance du Japon, le régent fit ressortir ce qui lui manquait ; il regretta que les côtes fussent mal défendues et ne pussent résister à une attaque sérieuse, et que les belles provinces de Satzouma, de Fisen et de Schendei, situées au bord de la mer, fussent en quelque sorte ouvertes à l’ennemi ; il déplora les désastres et la misère qui allaient, en cas de guerre, atteindre ces contrées si florissantes ; il témoigna de son profond respect pour ces loi, de Gongensama relatives à l’expulsion des étrangers, mais il n’oubliait pas qu’en vertu de ces mêmes lois, les gok’chis et les daïmios réunis avaient le droit de proposer des réformes. Il termina en rappelant que c’était au mikado seul de sanctionner ces réformes, et au taïkoun de les exécuter.

Après ce discours du régent, le prince de Mito quitta aussitôt la salle du conseil, suivi de quelques amis ; mais une grande majorité resta en séance : elle approuvait la politique du régent, et déclara qu’il semblait nécessaire de faire volontairement certaines concessions aux nations de l’Occident. Toutefois, pour empêcher le régent de s’aventurer trop dans ces idées nouvelles et en même temps pour tâcher de ramener le prince de Mito, l’assemblée plaça à la