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que le diacre Laurent, arrêté à la suite du pape Sixte II, fut confié à la garde d’un certain Hippolyte qu’il convertit et baptisa. Puis, lorsqu’il eut expiré sur un gril brûlant, Hippolyte recueillit ses restes, les ensevelit près de la Voie Tiburtine dans un champ de la veuve Cyriaque, et prit part avec d’autres chrétiens à la sainte communion. Arrêtés presque aussitôt et sommés de sacrifier aux idoles, ils refusèrent, furent fouettés de verges, et tous décapités, à l’exception d’Hippolyte, qui, ainsi que le voulaient l’exemple de son homonyme et la signification de son nom, fut écartelé. par des chevaux indomptés. Tout cela se passait trois jours après la mort de saint Laurent, le 13 août 258. Ouvrez l’almanach, et vous y verrez la fête de saint Laurent au 10 et celle de saint Hippolyte au 13 août. Voilà donc la tradition officielle de l’église ; elle a pour elle, bien entendu, les hagiographes romains et les puseyites.

Tout ce récit a l’air purement légendaire ; cependant l’aspect des localités et des monumens semble le justifier. Les monumens publics ne peuvent dater que du règne, de Constantin. La basilique de Saint-Laurent passe pour fondée en 330. Elle est à l’entrée des catacombes de Sainte-Cyriaque, en face de celles de Saint-Hippolyte, près de la Voie Tiburtine, et là a été trouvée la statue, qui ne doit pas être d’une date postérieure. Prudence, qui était né moins de vingt ans après, décrit la basilique de Saint-Laurent, et raconte qu’il y a vu une peinture murale du supplice d’Hippolyte déchiré par des chevaux. Cette description détaillée se trouve dans un poème qu’il consacre à sa mémoire.

Ainsi, moins de cent ans après le martyre de la légende, des faits et des objets matériels semblent prouver que la croyance de l’église et du peuple y était conforme. Cependant des objections de première force s’élèvent contre la vérité des actes de saint Laurent[1]. C’est déjà chose fort extraordinaire que ce titre populaire de protomartyr qui mettrait à Rome sur le même pied que saint Etienne à Jérusalem un chrétien immolé dans la septième ou la huitième persécution. Le premier Romain qui aurait donné son nom à une église ne serait mort que sous Décius ou Valérien ? Ce serait un fait d’où naîtraient des inductions graves contre l’histoire des persécutions et le dénombrement des martyrs, et, quoique les noms grecs soient en majorité parmi ceux des premiers papes et des confesseurs morts en Italie pendant les trois premiers siècles, on s’étonnerait qu’en autant de temps l’Évangile eût fait si peu de progrès dans la population latine. Quoi qu’il en soit, le poète Prudence lui-

  1. Act. Martyr, ad ostia Tiberina. Rom. 1795.