Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 45.djvu/915

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

groupe est la contre-partie du Faune à l’Enfant, faussement appelé Silène et Bacchus, qui de la villa Borghèse a été apporté à notre musée du Louvre. Il est difficile de manier le marbre avec une dextérité plus remarquable ; en voyant plusieurs parties du faune assis, notamment la jambe repliée, le pied, les épaules, j’ai involontairement pensé à Pradier, qui fut un praticien d’une habileté hors ligne. Ce groupe abonde en détails charmans, traités avec une sûreté de ciseau peu commune ; mais je ne sais s’il constitue un ensemble bien grandiose, et si les lignes brisées, sans point de départ, qui le composent ne nuisent point au style, dont elles diminuent l’ampleur. Le faune est assis, une de ses jambes repliée sur le genou ; de ses bras élevés il fait danser sur son épaule un jeune Bacchus trop ventru, qu’il regarde en souriant d’aise. C’est gracieux, vivant d’expression, et surtout d’une exécution irréprochable. La nature, une nature épurée par le goût, a été étudiée et imitée avec un soin merveilleux ; la vie palpite dans cette large poitrine et circule sous ces muscles d’une réalité que le ciseau a pour ainsi dire poétisée. M. Perraud a fait là preuve d’un talent très élevé, car il est difficile de pousser plus loin la science de l’exécution. Que ce soit une enfance de Bacchus ou un faune jouant avec un enfant, cela importe peu : c’est un groupe remarquable, et c’est tout ce qu’il convient de constater. Cependant on pourrait lui reprocher de trop sentir l’étude du modèle et la préoccupation de l’antique ; il y manque ce je ne sais quoi de personnel et de caractéristique qui donne un cachet ineffaçable aux œuvres d’art ; en un mot il y manque la flamme divine, l’inspiration. Ce faune n’est point sorti de M. Perraud lui-même, il est sorti de ses souvenirs, j’allais dire de ses réminiscences. Il y a des faunes dans tous les musées du monde ; je crains bien qu’ils ne soient venus visiter M. Perraud pendant son sommeil et ne lui aient demandé encore un acte de dévotion à leur culte mort pour toujours. Ce faune, tout beau qu’il est, tout remarquablement traité qu’il soit, est-il égal (et, venant le dernier, il devrait être supérieur) à différentes statues analogues que nous avons vues dans les galeries d’Europe ? Non, et M. Perraud lui-même ne me démentira pas.

A quoi cela tient-il ? À ce que M. Perraud a moins de talent que les sculpteurs païens ? Peut-être, mais à coup sûr ce n’est point là la vraie raison. Cela tient à ce que les sculpteurs de l’antiquité croyaient aux faunes et que nous n’y croyons plus. Pour nous, un faune est un modèle, choisi avec plus ou moins de discernement, et vu à travers les réminiscences de telle statue, de tel bas-relief, de telle médaille ; pour les anciens, c’était un demi-dieu, un être intermédiaire entre l’homme et la divinité, à la double essence desquels,