Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 45.djvu/985

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ville et ne l’a perdue que dans les sections de la campagne. A Nantes, à Bordeaux, au Havre, les votes libéraux ont eu la majorité. Dans les autres circonscriptions où des candidats libéraux avaient engagé la lutte, on a remarqué partout la même tendance : majorité libérale acquise dans les villes, où la population est agglomérée, peut se concerter, s’éclairer, et échappe plus facilement à l’action administrative, majorité renversée seulement par l’appoint des districts ruraux. En de telles conditions, il faut tenir grand compte, comme indication des tendances de l’opinion, des minorités imposantes qu’ont obtenues certaines candidatures telles que celles de MM. Casimir Perier, Jules de Lasteyrie, Guibourt, Lefèvre-Pontalis et d’autres que nous ne pouvons énumérer ici. Cet ensemble de faits agrandit la signification des succès obtenus par l’opposition, car il rend évidente l’influence croissante de l’opinion libérale partout où elle a voulu engager la lutte, c’est-à-dire partout où il y a présomption que le suffrage est à la fois plus éclairé et plus libre.

Nous avons promis d’examiner, avec l’impartialité et le dégagement d’esprit que l’on apporte à l’étude d’une question historique, les conséquences de la politique que le gouvernement vient de suivre dans les élections, lorsque les élections seraient terminées. Nous sommes fort à l’aise pour essayer cet examen, car la politique suivie par le gouvernement est tout à fait distincte des principes et des développemens logiques de la constitution de 1852. Il n’y a rien dans la constitution de 1852 qui oblige le gouvernement ou même qui l’invite à intervenir dans les élections, comme il vient de le faire, avec toute sa puissance administrative. La constitution de 1852 est formellement contraire au régime parlementaire, en ce sens qu’elle n’accorde point à la chambre représentative le droit d’initiative, et qu’elle n’admet point la responsabilité ministérielle. La constitution a-t-elle en cela tort ou raison ? C’est une question que nous n’avons point à examiner ici. Des esprits expérimentés ont pensé ou peuvent croire que l’initiative parlementaire et la responsabilité ministérielle présentent de plus grandes garanties de liberté, sont plus conformes au génie et aux traditions de notre Europe, et s’accordent mieux avec la permanence du régime monarchique. Nous n’avons ni à contredire, ni à soutenir cette façon de penser. Nous regardons, quant à nous, la constitution de 1852 comme compatible avec la liberté. L’expérience prouve que des constitutions qui n’admettent pas plus que celle-ci la responsabilité ministérielle ont pu se concilier en fait avec la liberté la plus complète que le monde ait connue: telle est la constitution américaine. L’épreuve d’une constitution qui retire à l’assemblée représentative le droit d’initiative, et se passe de l’hypothèse de la responsabilité ministérielle, peut donc être acceptée loyalement et courageusement par les amis de la liberté. Il est évident toutefois que ce qu’ôte de garanties à la liberté dans une telle constitution l’absence de l’initiative parlementaire et de la responsabilité ministérielle doit être cher-