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souffre la Pologne, qu’elle s’unisse à la France et à l’Angleterre, que l’Allemagne, dégagée ainsi, reprenne sa vie et sa fonction dans la civilisation occidentale, et la politique de la Russie basée sur la destruction de la Pologne aboutit à un avortement absolu : les actes sauvages auxquels Mouravief donne son nom, mais dont la triste responsabilité pèse sur la cour de Pétersbourg, ne feront qu’épaissir et élever la barrière entre la véritable Europe et la Russie; en croyant creuser la fosse de la Pologne pour arriver à nous, la Russie se sera séparée du monde européen par un fossé infranchissable.

La politique pratique peut puiser dans ces considérations générales d’utiles inspirations. Les meurtres, les spoliations, les déportations, les emprisonnemens par lesquels on s’efforce de détruire sous nos yeux la nation polonaise, excitent en France une indignation et une impatience que nous partageons. Cette impatience vient se briser contre les inexorables nécessités de la politique. La politique est souvent obligée de dominer les douloureuses impressions du moment, et d’ajourner l’exécution de ses plans pour réunir toutes les chances et toutes les ressources qui en doivent assurer le succès. Le mot de M. de Talleyrand, « la question la plus exclusivement européenne est celle qui concerne la Pologne, » n’est pas moins vrai aujourd’hui qu’au congrès de Vienne. La question ayant ce caractère et devant le conserver, nous comprenons que la France doive maîtriser son tempérament pour se conformer aux sentimens et aux allures des peuples et des gouvernemens avec lesquels elle est obligée de combiner ses démarches. Au surplus, si l’on fait taire les impatiences du sentiment, on peut facilement se convaincre que les lenteurs ne nuiront point à la solution de la question polonaise. Peu importe au fond que les réponses des trois puissances aux notes du prince Gortchakof ne soient point entièrement identiques; ce qui importe, c’est la persistance de la protestation morale formée à la fois par la France, l’Angleterre et l’Autriche. En définitive, les trois puissances portent le même jugement sur les usurpations et la conduite de la Russie; nous espérons que c’est la dernière réponse qu’elles feront aux chicanes de son gouvernement. Comment pourrait-on continuer à discuter avec un gouvernement qui prétend avoir appliqué déjà les six points en grande partie, comme si l’on pouvait avoir oublié le recrutement odieux qui a été l’origine de l’insurrection polonaise, et si l’on pouvait considérer ce guet-apens comme une application des six points exigés par l’Europe?

Que l’on réfléchisse maintenant à la situation qui s’ouvrira une fois que le débat diplomatique sera clos. Ni la France, ni l’Angleterre, ni l’Autriche n’adressent plus la parole à la Russie. Un silence que la cour de Pétersbourg fera bien de considérer comme désapprobateur et hostile est strictement gardé envers elle. Les trois puissances observeront les événemens, échangeront entre elles, suivant le cours des choses, leurs impressions