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toutes les portes afin de donner de l’air, on balaie les nattes avec soin, et la salle, complètement vide, sert dans la journée de bureau, de salon et de salle à manger, pour redevenir chambre à coucher la nuit venue. Cette manière de vivre explique fort naturellement l’excessive propreté des habitations japonaises.

Il n’y a que deux meubles qui soient d’un usage général parmi toutes les classes, le chibats et le tobaccobon, c’est-à-dire le brasero et la boîte à fumer. Le Japonais est grand buveur de thé, grand fumeur et grand causeur. À toute heure du jour, il lui faut de l’eau bouillante, et le brasero doit rester allumé le jour comme la nuit, en été comme en hiver. Il s’en sert aussi pour allumer la pipe qu’il tire vingt fois par jour de sa ceinture, où il la porte suspendue aux cordons d’une blague à tabac ; elle n’est guère plus grande qu’un dé à coudre, et le fumeur la remplit et la vide cinq ou six fois en autant de minutes. Ceux qui sont obligés de travailler et pour qui le temps a une certaine valeur, ne peuvent se procurer qu’en passant le plaisir de boire du thé et de fumer quelques pipes : ils s’y livrent deux ou trois fois entre chaque repas ; mais les gens qui n’ont rien à faire ou qui ne font rien,— et le nombre en est considérable au Japon, — ceux-là passent de longues heures accroupis autour du brasero, buvant du thé, fumant leurs petites pipes, et causant ou écoutant avec une satisfaction évidente peinte sur leurs mobiles visages. C’est lorsqu’on aborde les Japonais ainsi réunis qu’on apprécie le mieux leur aimable humeur, leur bienveillante politesse, et aussi leur paresse incorrigible. L’amour du travail n’est pas une vertu commune chez les Japonais ; beaucoup d’entre eux sont indolens à un degré dont un Européen qui n’a pas encore vécu en Orient ne peut se faire aucune idée.

Nagasacki possède un grand nombre de temples. Au reste, les édifices religieux abondent au Japon. D’après des calculs que l’on regarde comme officiels, on n’en compte pas moins de 149,280, dont 27,000 sont consacrés à la religion primitive, le sintisme, et 122,280 au bouddhisme, qui fut introduit dans ce pays vers le milieu du VIe siècle. Ces chiffres, quelque élevés qu’ils soient, ne paraîtront pas exagérés à ceux qui ont visité le Japon, et qui, en parcourant les villes ou les campagnes, ont assurément remarqué qu’on y rencontrait plus de monumens du culte que dans toute autre région du globe. À Yédo, ville d’une étendue considérable, les temples et leurs vastes dépendances occupent près d’un quart de la superficie totale[1]. Ce qui étonne bien davantage, c’est la disproportion qu’on finit par découvrir entre les manifestations si fréquentes du sentiment religieux et la nature même de ce sentiment. En voyant le Japon couvert de temples et de couvens dont l’érection doit avoir coûté des sommes énormes, et dont l’entretien absorbe une bonne partie des revenus publics, on serait porté à croire qu’on se trouvé au milieu d’une nation très religieuse ou du moins imbue de préjugés

  1. On y compte en tout 1,483 temples, dont 1,201 sont consacrés au bouddhisme, et 282 au sintisme.