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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 46.djvu/178

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homme aimable et distingué avec lequel j’avais noué des relations dont j’ai gardé un bon souvenir, envoya un peu avant la fête dire Il mon hôte, le consul américain, qu’il avait fait préparer des places qui nous permettraient d’assister aux spectacles qu’on allait donner en plein air en l’honneur du patron de Nagasacki. Au jour indiqué, nous ne manquâmes pas de nous y rendre.

Ce jour-là, toute la ville chômait; les rues étaient désertes, les boutiques fermées, et les rares passans, en habits de fête, se dirigeaient d’un pas pressé vers le quartier où l’on célébrait la madzouri. Là, il y avait foule, foule compacte et joyeuse, mais calme et inoffensive. Avec cette politesse dont les Japonais ne se départent jamais, on se rangeait avec empressement sur notre passage; on avait l’air de dire : « Voici des étrangers ; ayons pour eux les égards que l’on doit à des hôtes. » Nous traversâmes ainsi une place où des lutteurs achevaient un de leurs exercices, et après avoir gravi un grand escalier, nous nous trouvâmes devant l’enceinte réservée où devait avoir lieu la représentation dramatique. Un officier nous attendait à l’entrée. Après nous avoir salués profondément et avoir exprimé le regret de nous voir si peu nombreux, il nous conduisit dans une loge couverte, à côté de celle qu’occupaient le gouverneur et les principaux officiers de sa maison. On avait eu la précaution de garnir la loge de banquettes à notre usage, car les Japonais ont l’habitude de s’asseoir par terre, ainsi que d’une table sur laquelle était servi en abondance ce que la cuisine japonaise offre de plus exquis : du riz, du poisson cru et bouilli, des œufs, des légumes, des fruits, des sucreries, du vin doux d’Osakka, du sakki (eau-de-vie de riz) et du thé. A peine étions-nous assis que des domestiques apportèrent des pipes et du tabac. Quelques minutes plus tard, le gouverneur envoya un de ses officiers, accompagné d’un interprète, pour nous remercier d’avoir accepté son invitation. « C’était, à son avis, un spectacle bien peu digne de nous qu’il pouvait nous offrir, mais il espérait qu’en le jugeant nous lui tiendrions compte de sa bonne volonté à nous procurer quelque distraction. »

Mes compagnons et moi ne pensions pas ainsi. Le spectacle que nous avions sous les yeux était aussi varié qu’intéressant. Devant nous s’étendait un grand espace vide; tout autour, maintenue par la présence du gouverneur dans un silence respectueux, se pressait la multitude. On avait donné les meilleures places aux enfans. C’était déjà un plaisir de les voir avec leurs petites têtes bien rasées, vêtus les uns de robes de soie brillantes, les autres de robes de coton, mais tous propres et bien tenus, regardant partout avec une curiosité avide et une vivacité joyeuse. Derrière eux se tenaient les parens, hommes graves en longues robes sombres, serrées autour